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Cinéma : Anaïs Demoustier, portrait d’une femme (presque) ordinaire

Écrit par le 29 novembre 2023


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Publié le 29 nov. 2023 à 11:00

Un matin d’automne dans un café parisien. Fracas de percolateur, légère vapeur sur les vitres. En terrasse, ouvriers et livreurs prennent leur première pause. Un peu plus tard, un joggeur s’empare d’un journal et s’accoude au comptoir. « Un expresso, comme d’habitude ? » Sans s’attarder, la factrice dépose le courrier. Enfin sonne l’heure des mères qui viennent de déposer leurs enfants à l’école. Et parmi elles, entre Anaïs Demoustier.

Rose aux joues, regard pétillant, l’actrice est à l’heure mais semble pressée. Plus tard elle confiera : « Je fais toujours tout très vite. » En attendant, elle tâte le chauffage et ôte son manteau. A peine sortie du tournage du « Comte de Monte-Cristo », Anaïs Demoustier est à l’affiche du « Temps d’aimer », de Katell Quillévéré , son deuxième film de l’année après « La Bête dans la jungle », de Patric Chiha, sorti l’été dernier. Discrètement, 2023 aura marqué ses vingt ans de carrière. « Je m’en suis aperçue à Cannes. J’étais au jury de la Caméra d’or, j’ai vu l’affiche sur laquelle il était écrit 2023. Soudain, je me suis souvenue que j’étais venue pour la première fois au festival avec ‘Le Temps du loup’, de Michael Haneke, en 2003. Vingt ans, ça m’a fait halluciner ! », s’exclame-t-elle avant de commander un « allongé ».

L’une de ses plus belles compositions

Vingt ans, c’est aussi presque le temps que traverse l’héroïne du « Temps d’aimer ». L’histoire débute à l’après-guerre, Madeleine travaille dans la crêperie d’une station balnéaire de Bretagne. A l’étage, dort son fils, Daniel, né d’une liaison passagère avec un officier allemand disparu à la Libération. Daniel est son amour, sa honte aussi. Sur la plage, Madeleine rencontre François (Vincent Lacoste), un jeune homme de bonne famille qui, lui aussi, cache un secret.

En un film de deux heures, dans l’une de ses plus belles compositions, Anaïs Demoustier vieillira plus qu’en deux décennies de cinéma. Jamais elle n’avait eu l’occasion d’explorer la longueur d’une existence, d’interroger aussi profondément le travail du temps. Car, depuis ses débuts, indifférent au passage des années, le cinéma l’a regardée comme l’archétype de la jeune Française. « Cette perception qu’on a de moi n’est pas liée à ce que je suis. Je vieillis, comme tout le monde. Mais j’ai débuté jeune et cette jeunesse a dû rester imprimée car j’ai beaucoup joué les étudiantes et très peu les mères. Le climax de ces rôles restera peut-être ‘ Les Amours d’Anaïs ‘, de Charline Bourgeois-Tacquet. En 2021, on a beaucoup évoqué ma ‘fraîcheur’ à propos de ce film. Aujourd’hui, j’ai peut-être passé l’âge des jeunes femmes pleines de ‘fraîcheur’. »

« Les Amours d'Anaïs», de Charline Bourgeois-Tacquet (avec Valeria Bruni- Tedeschi), en 2021. 

« Les Amours d’Anaïs», de Charline Bourgeois-Tacquet (avec Valeria Bruni- Tedeschi), en 2021. © Haut et Court

À travers ses personnages, Anaïs Demoustier aura tracé un portrait composite d’une jeunesse française. En 2010, il y avait la banlieue et les courses urbaines sauvages dans « Belle Epine », de Rebecca Zlotowski, puis la galère ordinaire d’une jeune surdiplômée qui enchaîne les plans sans avenir dans « D’amour et d’eau fraîche », d’Isabelle Czajka.

Neuf ans plus tard, la philosophe d’« Alice et le Maire » se frotte à la politique et ses désenchantements dans le film de Nicolas Pariser : « Je la chéris, je l’adore. Pour moi, Alice est une personne plus qu’un personnage. Ce n’est pas une femme excentrique ou délurée. Elle est mesurée, réfléchie, sensible. Et le film raconte la solitude de cette jeunesse qui a fait des études, qui a acquis les outils intellectuels pour penser le monde, puis qui se retrouve démunie face à sa réalité. »

Alice est surtout la femme qu’aurait pu devenir Anaïs. A Villeneuve-d’Ascq, elle était bonne élève, scolaire, équilibrée. Puis une directrice de casting l’a repérée à son cours de théâtre. A 14 ans, elle s’est trouvée parachutée à Vienne, sur le tournage du « Temps du loup », de Michael Haneke : « J’ai découvert un ailleurs, un autre monde. Il y avait Isabelle Huppert, concentrée, sérieuse, pro. Et puis Béatrice Dalle, je n’avais jamais vu quelqu’un d’aussi étrange et drôle. Il y avait aussi Patrice Chéreau. Maurice Bénichou, qui était d’une gentillesse folle. Florence Loiret-Caille me faisait rire, elle était la jeune femme à qui je voulais ressembler. Je regardais passer ces techniciens autrichiens, allemands. L’ingénieur du son français Guillaume Sciama m’a fait découvrir ‘Vienne’, la chanson de Barbara qui s’est mise à m’obséder… A partir de là, je n’ai jamais voulu faire autre chose. »

Anaïs Demoustier, à Paris, le 21 novembre 2023. L'actrice a débuté à 14 ans, devant la caméra de Michael Haneke. 

Anaïs Demoustier, à Paris, le 21 novembre 2023. L’actrice a débuté à 14 ans, devant la caméra de Michael Haneke. © Dorian Prost pour Les Echos Week-End

Au lycée, quand une conseillère d’orientation lui demande le métier qu’elle souhaite exercer, Anaïs écrit « actrice ». « Tu ne voudrais pas mettre un vrai métier ? »« J’étais vexée, j’avais tourné un film, je savais que c’était un métier. Comme elle insistait, j’ai écrit ‘journaliste’. Et j’aurais sans doute fait ça si je n’avais pas été actrice, une khâgne, des études pour devenir journaliste. »

Au cinéma, elle sera avocate, prostituée, flic, procureur, serveuse… « Ça m’a amenée à réfléchir à cette question : qu’est-ce qu’il y a derrière la fonction ? La fonction donne à chacun une assise dans la société, parfois un uniforme, une blouse. Mais derrière chaque fonction, il y a des êtres humains qui se trouvent souvent fragiles ou perdus lorsqu’ils quittent leur fonction. Car, soudain, ils ne sont plus qu’eux-mêmes. J’ai pu m’identifier à ces rôles car, sur ce point, le métier d’acteur n’est pas différent : bien sûr, un acteur peut avoir des enfants, des amitiés, des amours… mais tout s’organise autour de notre métier. »

Comme une page blanche

Ainsi se sont écoulées deux décennies, au tempo de deux ou trois films par an et autant de personnages. À ses débuts, une directrice de casting lui a signalé la différence entre les forces de la nature qui crèvent l’écran comme Gérard Depardieu et les comédiens caméléons qui se glissent partout comme Melvil Poupaud . Elle appartenait à la seconde catégorie. Elle était comme « une page blanche » sur laquelle une infinité de rôles allait s’inscrire. « Je suis une comédienne semi-connue, constate-t-elle vingt ans plus tard. On me reconnaît rarement dans la rue ou le métro. Parfois, quelqu’un me dit qu’on s’est vu quelque part ou me demande si je ne travaille pas à la bibliothèque municipale, par exemple… Si, au cinéma, on s’identifie à moi, c’est surtout parce que je suis assez ordinaire. »

Avec Vincent Lacoste dans «Le Temps d'aimer» de Katell Quillévéré.

Avec Vincent Lacoste dans «Le Temps d’aimer» de Katell Quillévéré.© Roger Arpajou

À ce titre, l’un de ses plus beaux rôles aura été la femme de chambre de « Bird People », de Pascale Ferran (2014). La fille du RER B, tête contre la vitre, casque sur les oreilles. La fille « assez ordinaire » qui travaille, mécaniquement, entre le rêve et l’épuisement, au bord des pistes de Roissy. « Pascale Ferran m’a demandé d’aller faire des chambres dans un hôtel. Pendant une semaine, chaque après-midi, je prenais le RER aux Halles et j’allais à l’aéroport. Elle voulait filmer mon visage libre de penser pendant que je travaillais. En effet, j’ai acquis des réflexes, des automatismes et j’ai éprouvé cette solitude. Enchaîner les chambres, seule avec l’intimité de gens, se trouver confrontée à leurs affaires, c’est une chose étrange. »

« Jouer une amoureuse, c’est comme jouer une religieuse »

Au cinéma, le regard sombre ou taquin d’Anaïs Demoustier a ainsi vu passer toutes sortes de sentiments, du spleen à la passion : « Je me demandais récemment : pourquoi c’est si beau de jouer l’amour ? Jouer une amoureuse, je crois, c’est comme jouer une religieuse. Car ce qui est intéressant au cinéma, c’est que la caméra capte quelque chose d’invisible. Or c’est bien ça, l’amour, n’est-ce pas, quelque chose qui se voit dans l’air ? C’est comme croire en Dieu. Voilà pourquoi j’aimerais interpréter une grande mystique, un personnage d’illuminée. Car quand on est amoureux, on est un peu illuminé. »

Anaïs Demoustier, à Paris, le 21 novembre 2023. Au cinéma, son regard sombre ou taquin a ainsi vu passer toutes sortes de sentiments, du spleen à la passion. 

Anaïs Demoustier, à Paris, le 21 novembre 2023. Au cinéma, son regard sombre ou taquin a ainsi vu passer toutes sortes de sentiments, du spleen à la passion. © Dorian Prost pour Les Echos Week-End

En écoutant Anaïs Demoustier dans le brouhaha familier de ce café, on saisit combien la Madeleine du « Temps d’aimer » rassemble ses rôles passés pour mieux l’emmener ailleurs. Katell Quillévéré la filme en mère solitaire puis en amoureuse, en travailleuse puis dans la tornade de soirées passées derrière un bar… et à cela s’ajoute donc le vieillissement : « J’avais des prothèses, du maquillage… mais l’âge, c’est d’abord un processus interne, un ralentissement. C’est un poids, une chute. » Puis elle ajoute : « Mais vieillir, ce n’est pas juste une affaire personnelle. On éprouve l’âge en voyant le monde changer autour de soi. Madeleine vieillit car, à ses côtés, son enfant devient ado, puis adulte. »

Le temps des mères

À la fin du « Temps d’aimer », Katell Quillévéré ose affronter la séquence classique du quai de gare. Anaïs Demoustier regarde son fils partir à bord d’un train. En s’éloignant, il emporte la jeunesse de Madeleine. « J’ai revu cette scène il y a quelques jours, au festival d’Arras. Moi aussi, elle me bouleverse. C’est étrange de se voir en vieille dame. Si beaucoup d’actrices ont un problème avec l’âge, moi, au contraire, j’ai hâte d’avoir de beaux rôles de mère. Il est temps. »

Aujourd’hui, sur ses pommettes, ses taches de rousseurs paraissent s’estomper. « C’est vrai ? », s’exclame-t-elle en portant ses mains à ses joues comme pour les retenir. « Là, on est au plus bas. Mais elles reviendront avec le soleil. » Un visage d’actrice, comme une page blanche. Tant d’histoires à écrire.

« Le Temps d’aimer » de Katell Quillévéré, avec Anaïs Demoustier, Vincent Lacoste. 2 h 05. En salle à partir du 29 novembre.

Les abonnés d’Anaïs Demoustier

Anaïs Demoustier fait partie de ces comédiennes que quelques cinéastes filment plus d’une fois.

Isabelle Czajka

« L’Année suivante » (2007), « D’amour et d’eau fraîche » (2010).

Christophe Honoré

« La Belle Personne » (2008), « Les Malheurs de Sophie » (2016).

Robert Guédiguian

« Les Neiges du Kilimandjaro » (2011), « Au fil d’Ariane » (2014), « La Villa » (2017), « Gloria Mundi » (2019).

Quentin Dupieux

« Au poste ! » (2018), « Incroyable mais vrai » et « Fumer fait tousser » (2022), « Daaaaaali » (2023).

Jérôme Bonnell

« A trois on y va » (2015), « Chère Léa » (2021).

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