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Gilles Bloch, président du Muséum national d’Histoire naturelle : « La réalité du monde vivant est un émerveillement qu’il faut faire renaître »

Écrit par le 30 novembre 2023


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Publié le 30 nov. 2023 à 14:08

« C’est une période de rentrée bien active ! » Dans le bureau de Gilles Bloch, à Paris, l’automne commence à s’installer. Le nouveau président du Muséum national d’Histoire naturelle remonte le col de sa veste. Dans le contexte climatique actuel, allumer les radiateurs peut bien attendre. Lorsqu’il évoque ses premiers pas au sein de l’institution, les yeux du scientifique pétillent. « La découverte de l’interne est très riche, s’enthousiasme-t-il. Je n’avais pas croisé beaucoup de jardiniers et de soigneurs dans le reste de ma carrière ! »

Le parcours de Gilles Bloch n’a pourtant pas manqué de diversité. Polytechnicien, médecin et chercheur, il a aussi bien travaillé au sein du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) qu’au ministère de la Recherche, où il a notamment été conseiller pour les sciences du vivant, la santé et la bioéthique. Diriger de grandes structures est une mission qui ne lui est pas inconnue. Ces dernières années, il a présidé l’Agence nationale pour la recherche (ANR), l’Université Paris-Saclay et l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Le voilà désormais à la tête d’une institution historique, forte de douze sites en France, qui se consacre depuis près de 400 ans aux relations entre les humains et la nature.

Quel est votre état d’esprit quelques semaines après votre prise de fonction ?

Dès ma candidature, j’étais extrêmement enthousiaste, parce que le Muséum est une grande et belle maison scientifique. Nous avons tous le souvenir d’y avoir vécu des moments d’éblouissement. Elle vit et se transforme en permanence ! J’arrivais d’une autre sphère et j’ai été accueilli par des équipes formidables. Les journées se succèdent et je ne cesse d’apprendre. J’ai passé des dizaines et des dizaines d’heures à faire le tour des structures, à rencontrer les équipes sur les différents sites parisiens… C’est très stimulant !

J’ai découvert par exemple, en échangeant avec les soigneurs du Parc zoologique de Paris, que leur première activité, lorsqu’ils arrivent le matin, consiste à observer les animaux. Ils les connaissent tous, un par un, y compris les oiseaux dans les grandes volières. Ce sont des personnes passionnées, dévouées au bien-être de ces « pensionnaires ». Je vais également avoir très prochainement le plaisir de me rendre dans les sites du Muséum en région. Je suis très heureux d’être là.

Quel est votre regard sur le mandat de votre prédécesseur, Bruno David ?

Bruno David a fait du Muséum un ensemble où les liens sont beaucoup plus étroits entre les différentes implantations. Il y a encore un peu de travail à ce niveau-là mais le chemin parcouru est énorme. Le croisement des compétences et le partage des savoirs entre les différents sites ont fortement évolué.

Sur les dix dernières années, cette institution a également gagné en visibilité et en activité. Elle s’est beaucoup modernisée et a démultiplié son activité d’accueil des publics et ses canaux de communication. L’engagement du Muséum en tant qu’institution au service de la société et des politiques publiques est aujourd’hui très perceptible depuis l’extérieur, notamment dans le domaine de la protection et de la conservation de la biodiversité qui est devenue un enjeu majeur. Les Manifestes du Muséum contribuent par exemple à positionner l’institution comme un interlocuteur engagé sur les sujets de société propres aux relations entre l’humain et ses environnements.

A titre personnel, à quand remonte votre conscience écologique ? Quel est votre lien avec le reste du vivant ?

C’est une conscience qui s’est développée tout au long de ma vie. J’ai grandi outre-mer (en Guadeloupe, NDLR), où nous entretenions un contact permanent avec la biodiversité. J’ai vécu avec des petites grenouilles qui venaient courir entre nos pieds quand on dînait le soir. Enfant, je plongeais avec un masque pour observer les coraux et les poissons tropicaux C’est absolument fascinant ! Par conséquent, le blanchiment des coraux est un phénomène qui m’interpelle particulièrement. Je mesure ce que signifie l’appauvrissement de la biodiversité. J’ai toujours eu un relationnel très empathique avec le monde animal au-delà de l’humain.

Ce lien que vous entretenez avec le monde animal vous a donc incité à postuler à la présidence du Muséum ?

Comme beaucoup de médecins, j’ai longtemps hésité entre les filières vétérinaire et médicale. A 20 ans, on aspire à changer le monde et cela me semblait plus cohérent, à l’époque, de travailler sur la santé humaine. J’ai cependant toujours été très sensible aux problématiques environnementales, y compris dans mes comportements individuels. Je privilégie au quotidien les transports en commun pour limiter mon empreinte carbone. À 60 ans passés, je me demandais où j’allais pouvoir encore m’enrichir et déployer toute mon énergie. Le Muséum fait partie de ces institutions qui combinent science, formation, mais aussi diffusion vers tous les publics, tout cela sur la base de nos vastes collections. Je trouve formidable de pouvoir se mettre au service d’une grande mission comme celle-ci et d’y apporter un regard un peu décalé.

Que pensez-vous de notre connexion, ou de notre déconnexion, avec le vivant ?

En quelques générations, la France a totalement perdu contact avec ses campagnes et avec toute la faune qui existait dans le monde rural. Cette perte de lien explique notre amnésie face aux changements de notre environnement. Or, un monde humain déconnecté de la nature représente un risque majeur pour l’humanité. Les effets s’en font d’ailleurs ressentir sur la santé humaine – les allergies par exemple -, sur notre psychisme mais aussi sur notre alimentation. D’ici les années 2070, il n’y aura plus ni mammifères ni oiseaux de plus de 10 kilos dans la zone intertropicale. Seules demeureront quelques espèces conservées dans les zoos en espérant pouvoir un jour les réintroduire. Cet appauvrissement en termes de culture et de capacité d’empathie vis-à-vis de la nature fait froid dans le dos.

Face à ces constats, le Muséum a donc un rôle primordial…

L’une des missions du Muséum est de contribuer à recréer ce lien avec le vivant. Nous y oeuvrons notamment à travers les parcs zoologiques, et leur projet de conservation. Mais c’est aussi un outil de relation pour les jeunes et les moins jeunes avec le monde animal. Nous avons aussi des programmes de recherche participative, tournés notamment vers les écoles, pour essayer de ramener des petits citadins dans les zones où il y a encore de la faune et de la flore, même aux portes de Paris.

La réalité du monde vivant est un émerveillement qu’il faut faire renaître dans la population. Beaucoup ne se rendent pas compte qu’ils sont déconnectés de leur origine naturelle. La Grande Galerie de l’Evolution, à travers la richesse et la diversité de ses collections, est un lieu qui suscite chez les visiteurs une émotion forte et qui participe à cet éveil des consciences. Enfants comme hauts personnages de l’Etat viennent entre nos murs partager cet émerveillement.

Les enfants sont d’ailleurs un public de plus en plus ciblé par l’institution ?

C’est à cet âge que nous pouvons de façon quasi-irréversible faire évoluer la conscience précieuse de l’environnement. Avec « Bestioles » et « Curieux de sciences », le Muséum a développé et produit des podcasts qui s’adressent aux moins de 10 ans. Mais nous ne pouvons nous appuyer uniquement sur les jeunes générations. En plus du dérèglement climatique, la dégradation de l’environnement ne cesse de s’aggraver. Il faut aussi voir la pression directe des prélèvements opérés sur les espaces naturels : nous continuons à braconner des rhinocéros et des petits singes au Brésil pour des usages absolument stupides. Nous devons donc aussi nous adresser à toutes et tous car chacun est responsable de l’avenir de la planète.

Comment se saisit-on de ces questions environnementales lorsque l’on a, comme vous, un bagage « santé » ?

Mon parcours n’a pas toujours été éloigné de ces enjeux. Au ministère, je me suis par exemple occupé des premiers pas de l’IPBES . Diriger une grande université implique de travailler sur un spectre large, y compris la responsabilité environnementale. L’animal-thérapie, qui m’a beaucoup intéressé, fait également partie des fils à tirer pour cultiver notre relation avec le vivant. Elle permet de recréer un lien à nos origines animales. J’avais donc déjà accès à un certain nombre de thématiques qui maintenant me préoccupent au premier chef. J’étais à l’Inserm au moment de la crise du Covid qui a révélé la fragilité de nos sociétés par rapport à la dégradation de l’environnement. Au fil de mon parcours, y compris à travers le prisme santé, j’ai pu appréhender combien l’espèce humaine est en train de scier la branche sur laquelle elle est confortablement installée.

Votre spécialité santé va-t-elle influencer la manière dont vous allez présider le Muséum ?

J’ai une grande humilité sur ce point. En tant que président de l’Inserm, je m’intéressais prioritairement à la santé humaine. Sur le temps long, l’évolution de celle-ci a été très positive. En contrepoint, nous voyons bien l’effet dévastateur de l’humanité sur ses environnements et sur l’ensemble de la biodiversité. Désormais, je fais un pas de côté. Je considère que les approches anthropocentrées sont porteuses de dangers, y compris pour l’humanité. Il faut prendre un point de vue beaucoup plus général et presque universel vis-à-vis des formes de vie, mais aussi de l’environnement inerte.

La vie se nourrit du cycle de l’eau, de ressources géologiques qui sont disponibles… Il existe un continuum, une interdépendance du vivant, qu’il faut contribuer à préserver. C’est la mission centrale du Muséum de décrire tout cet ensemble et d’aider le gouvernement français et la communauté internationale à prendre les mesures de préservation et de restauration de l’environnement les plus adaptées à la biodiversité. La force du Muséum est que nous sommes étroitement associés aux réflexions sur ces enjeux.

Quels sont les projets que vous souhaitez porter en priorité durant votre mandat ?

J’arrive avec des sujets qui me tiennent particulièrement à coeur, mais je suis en même temps extrêmement respectueux de tout le travail de réflexion qui a été conduit par le Muséum ces dernières années. Parmi les thématiques qui me sont chères, celles d’« une seule santé – One Health » et de l’alimentation se dégagent particulièrement. Mais mon approche est aussi transversale. Je pense que nous sommes dans une institution fondée sur la mémoire de la vie et de la Terre. Nous devons trouver le moyen d’encore moderniser notre façon de travailler. Un des défis pour le Muséum sera de préserver nos collections extrêmement riches, mais qui se heurtent à des contraintes de place et de conditions de stockage. La numérisation d’un certain nombre d’entre elles est aussi capitale pour pouvoir faciliter l’accès aux spécimens biologiques et les rendre disponibles pour toute la communauté scientifique.

Cela participe à une volonté d’aller davantage au contact de la population ?

Nous vivons à une époque où les fausses informations circulent de manière soutenue. Notre institution a une mission essentielle : démultiplier le partage des connaissances avec l’ensemble de la population. Une partie d’entre elles est très éloignée des canaux traditionnels de culture scientifique. Si 3,5 millions de visiteurs payants fréquentent nos sites tous les ans, quelques dizaines de millions de Français n’iront jamais dans un musée. Il faut donc que nos messages leur parviennent par les canaux qui leur sont les plus familiers, comme le smartphone, la télévision ou les réseaux sociaux. Plusieurs expériences ont été menées, sur les quais de gare, dans les hôpitaux, les prisons… Il faut continuer à conquérir des espaces pour essayer de faire bouger les comportements en éclairant tous les publics, notamment sur les enjeux de la biodiversité.

Demain, l’être humain devra accepter d’abdiquer son hégémonie pour laisser plus de place au monde vivant. Le Muséum et l’ensemble du monde universitaire doivent participer à cette prise de conscience. Une démultiplication de partenariats est essentielle car nous ne sommes pas partout !

Le Muséum propose une vaste programmation. Quelles expositions conseillerez-vous ?

L’expérience « Mondes disparus », qui a ouvert le 14 octobre dans la Galerie de géologie et de minéralogie, est impressionnante. Elle propose un voyage en réalité virtuelle à travers les 3,5 milliards années d’histoire de la vie. Se retrouver entre les pattes d’un tricératops est assez bluffant ! L’exposition « Félins », qui se poursuit dans la Grande Galerie de l’Evolution, et « Jungle en voie d’illumination », une exposition nocturne au Jardin des Plantes, sont également magnifiques. En novembre, le Musée de l’Homme a inauguré « Préhistomania », une exposition spectaculaire de relevés d’art rupestre. Nous présentons 200 relevés, dont certains sont monumentaux. L’année prochaine, nous fêterons les trente ans de la Grande Galerie de l’Evolution, avec une programmation ciblée sur cet anniversaire. En région, l’Harmas Jean-Henri Fabre, dans le Vaucluse, a été rénové et a rouvert ses portes au printemps. C’est un très bel endroit qui rend hommage à un grand personnage de l’entomologie. Je suis impatient d’y aller !

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