Bligny, un château en Champagne

Chemise ouverte jusqu’au milieu du torse, veste aux couleurs vives, barbe de quelques jours : dans une Champagne aux manières policées, Jean-Rémy Rapeneau ne passe pas inaperçu. On ne peut pas dire qu’il soit fort en gueule. Il est différent, d’esprit et de mode de vie. « Savoir être sérieux sans se prendre au sérieux » est son mantra. Et il s’y emploie avec un talent certain.

Directeur commercial des maisons G. H. Martel et Charles de Cazanove, qui appartiennent à sa famille, le quadra, moitié Français moitié Américain désormais, partage son temps entre Miami, Reims, capitale du champagne, et tous ses satellites disséminés sur la planète. Savoureux personnage, un pied dans le monde nouveau, un pied dans l’ancien. Un soir dans un club à Palm Beach, un week-end à chasser le sanglier dans l’Aube.

Un « château » comme à Bordeaux

Au château de Bligny, acquis par la famille Rapeneau voici un quart de siècle, Jean-Rémy s’attache à faire vivre les traditions. La chasse, car la demeure fut édifiée fin XVIII^e par le marquis de Dampierre pour y traquer le loup. Et le vin, car le château fut entouré voici un siècle d’un florissant vignoble. En 1936, date de création de l’AOC, Bligny fut d’ailleurs le seul champagne à pouvoir porter le nom de « château », comme à Bordeaux. C’est que les raisins, originaires de ses seules vignes, sont pressés sur place, et le vin élevé dans ses caves. Une vraie singularité.

Viticulteurs à Reims, les Rapeneau sont vignerons à Bligny. Après quinze années de travaux au vignoble et au cuvier, leurs cuvées tiennent à présent la dragée haute à l’élite de la Marne, sans rivaliser en prix. Finement zesté, le blanc de blancs excelle dans un registre énergique et agrumique, éloigné des styles briochés et beurrés.

Une étape est franchie, cependant, avec le Clos du Château de Bligny. Cette parcelle de moins d’un hectare est unique en son genre. Parce qu’elle est le seul « clos de château », et parce qu’elle assemble six cépages, arbane, petit meslier et pinot blanc s’ajoutant aux deux pinots et au chardonnay. Ce cru rare, à la robe soutenue et aux arômes prononcés de fruits jaunes, déploie sur la longueur une noble complexité. Pas étonnant : c’est un beau millésime (2012) qui ne s’affiche pas. Etre sérieux sans se prendre au sérieux…

Clos du Château de Bligny, cuvée des 6 cépages, champagne. 70 € la bouteille. nicolas.com