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« Bouillons » parisiens : les secrets d’un retour de flamme

Écrit par le 5 avril 2024


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Fin décembre 2023. La file d’attente qui démarre devant le « Bouillon Pigalle », à l’angle de la rue André-Antoine, se poursuit, comme chaque week-end de l’année ou presque, sur le boulevard de Clichy. Elle s’interrompt au bout d’une vingtaine de mètres pour laisser entrer les clients du McDonald’s. La foule, dans laquelle on compte beaucoup de jeunes, est très disciplinée, respectant la consigne imprimée en rouge sur une affichette : « Lorsque la première file d’attente est complète nous vous remercions de bien vouloir patienter au niveau de la seconde file après le McDonald’s. »

La queue reprend alors, sagement, pour tourner à l’angle de la rue Houdon où la boulangerie est fermée : elle a été rachetée par le « Bouillon Pigalle », justement, qui va y créer un service à emporter comme il en existe déjà dans l’établissement de République. Le restaurant de 350 places sur deux étages, ouvert de midi à 2 heures du matin, tourne à une moyenne de 1.300 couverts par jour, sensiblement plus le week-end. « À Noël, cette année, nous avons battu nos records avec une journée à 2.000 couverts », se réjouit le jeune directeur adjoint du restaurant, Thomas Moretto.

Passés près de la disparition

« C’est la revanche de la gastronomie française sur McDo », se réjouit Luc Morand, propriétaire du « Bouillon Racine », à Odéon, qui, après une carrière chez Unilever, au Boston Consulting Group et chez Tetra Pak, a été, dit-il, frappé par la crise de la quarantaine. « Un ami d’ami m’a informé qu’un restaurant qui ne se portait pas très bien était à vendre. En 2002, nous l’avons racheté en famille. L’idée, c’était de revenir aux origines du bouillon. C’est sur ce segment que les fast-foods américains sont entrés le plus facilement. »

Au « Bouillon Pigalle », le 18 mars 2024, les incontournables oeufs mayonnaise.

Au « Bouillon Pigalle », le 18 mars 2024, les incontournables oeufs mayonnaise.© Raphaël Dautigny pour Les Echos Week-End

Cette affluence signe le retour en force d’un concept hérité du XIXe siècle qui avait pratiquement été rayé de la carte des restaurants parisiens. Il y avait entre 250 et 400 bouillons dans la capitale sous le Second Empire (voir encadré en fin d’article). Mais, dans les années 1920, le phénomène s’essouffle. Les clients se tournent de plus en plus vers les brasseries, jugées plus haut de gamme, notamment celles fondées par les Alsaciens – « Wepler », « Graff », « Jenny », « Zimmer », « Zeyer »… « Les bouillons auraient très bien pu disparaître totalement, il s’en est fallu d’un rien, insiste Loïc Bienassis, historien à l’université de Tours et co-commissaire de l’exposition « Paris, capitale de la gastronomie ». Le concept a survécu grâce à Chartier qui a maintenu la flamme, et surtout véhiculé un imaginaire. On joue clairement, là, sur la nostalgie. »

Retour de hype pour « Chartier »

Les bouillons reviennent donc en force. Signe des temps, le « Bouillon Pigalle » a racheté, en 2018, « Jenny », la brasserie culte du boulevard du Temple, pour y ouvrir une nouvelle enseigne. « Le Pharamond », célèbre restaurant de la rue de la Grande-Truanderie où François Mitterrand avait son rond de serviette, a bien senti le mouvement, lui aussi, qui s’est rebaptisé « Le Petit Bouillon Pharamond », précisant « Maison fondée en 1832 ». Et en adaptant ses prix, bien sûr.

A l'historique « Bouillon Chartier » du Faubourg Montmartre, le 21 mars 2024.

A l’historique « Bouillon Chartier » du Faubourg Montmartre, le 21 mars 2024.© Raphaël Dautigny pour Les Echos Week-End

Quant à « Chartier », l’institution de la rue du Faubourg-Montmartre fondée en 1896, il s’est offert une nouvelle jeunesse depuis son rachat par le groupe Joulie, propriétaire de nombreux établissements de prestige (« Au Boeuf couronné », « Le Wepler », « Le Sébillon », les « Congrès Auteuil » et « Congrès Maillot »…). « Quand mon père m’a dit que ‘Chartier’ était peut-être à vendre, raconte Christophe Joulie, ma première réaction a été de plaisanter : ‘Tu ne veux pas racheter la tour Eiffel aussi, tant que tu y es ?’ Je n’y croyais pas. Ce type d’affaires, ça ne passe qu’une fois dans votre vie. Mais le propriétaire voulait vendre à mon père, pas à moi. Il a fallu le convaincre. On a déjeuné ensemble. Au bout de cinq minutes, il m’a dit : ‘Chartier existe depuis cent ans, il existera encore dans cent ans, qu’est-ce que vous voulez en faire ?’ Je lui ai assuré que ça resterait un bouillon. J’aurais pu en faire une brasserie, mais je suis tombé amoureux de ce produit qui avait traversé le temps. Avec mon père, on s’est demandé si on pouvait bien manger aujourd’hui à Paris pour moins de 20 euros. J’étais persuadé que oui. Il fallait juste le remettre au goût du jour, sans toucher à son ADN : petits prix, rapidité du service, authenticité du décor, convivialité. »

Tête de veau sauce gribiche, au « Bouillon Chartier » du Faubourg Montmartre.

Tête de veau sauce gribiche, au « Bouillon Chartier » du Faubourg Montmartre.© Raphaël Dautigny pour Les Echos Week-End

Résultat, « Chartier » qui tournait à 600 couverts par jour dépasse désormais les 2.200 certains week-ends. Les salariés sont passés de 50 à 100. Aujourd’hui, la file d’attente remonte souvent jusqu’aux Grands Boulevards. Et deux « Chartier », à Montparnasse et à la gare de l’Est, ont vu le jour.

La vague est bien lancée et beaucoup seront tentés de surfer dessus. Le mouvement est loin d’être fini, à Paris, mais aussi en province où s’annoncent, encore sous le secret, des ouvertures.

Profiterole, au « Bouillon Chartier » du Faubourg Montmartre. 

Profiterole, au « Bouillon Chartier » du Faubourg Montmartre. © Raphaël Dautigny pour Les Echos Week-End

Mais comment expliquer ce bouillonnement d’enthousiasme ? « C’est beau, bon, pas cher et sympa ! » tranche le critique gastronomique Gilles Pudlowski, auteur d’un guide des meilleurs bistrots parisiens. « Avant, c’était ringard, les gens préféraient les brasseries. Aujourd’hui, le balancier est reparti dans l’autre sens. C’est grâce aux petits malins du ‘Bouillon Pigalle’ qui ont compris aussi qu’il fallait être dans des endroits stratégiques. »

« C’est la table d’Edith Piaf ! »

Le critique gastronomique Vincent Ferniot ajoute : « À un moment où le monde est éclaté, le multiculturalisme en cuisine peut devenir angoissant. Les gens conservent la nostalgie des réminiscences culinaires de l’enfance et retrouvent le chemin des bistrots. On a besoin de cette réassurance à petits prix. Les jeunes, en particulier, viennent se reconnecter dans un bouillon. C’est le goût de la France ! » Chez « Julien », rue du Faubourg Saint-Denis, le serveur, habillé en « rondin » (gilet noir et tablier blanc), peut annoncer fièrement aux clients à qui il donne la table 24 : « C’est celle d’Edith Piaf ! »

Au « Bouillon Racine ».

Au « Bouillon Racine ».© Raphaël Dautigny pour Les Echos Week-End

Beau. De fait, les bouillons sont un régal pour l’oeil. En particulier les plus anciens, dont les ensembles Art nouveau ont été restaurés avec brio, conférant au déjeuner un supplément d’âme. Le décor de « Julien », classé monument historique en 1997, a été magnifiquement restauré en 2018. Coût de l’opération : 700.000 euros pour une affaire achetée 3 millions la même année par le groupe Trasco (« Les Grandes Brasseries de l’Est ») de Jean-Noël Dron, qui cible les restaurants de grande renommée architecturale (la « Maison Kammerzell », joyau de la Renaissance rhénane, face à la cathédrale de Strasbourg, c’est lui).

Joyaux art nouveau

« Julien » porte la marque des plus grands artistes et artisans de leur époque. Armand Ségaud a signé les panneaux peints représentant des paons ; l’ébéniste Louis Majorelle, le bar en acajou de Cuba ; Louis Trézel, les fresques inspirées par Alfons Mucha. Le sol carrelé, évoquant une prairie sauvage d’ancolies et de marguerites, provient des faïenceries d’Hippolyte Boulenger à Choisy-le-Roi. Les grandes verrières qui illuminent la salle d’une lumière zénithale ont été conçues par les miroiteries Georges Guenne avec des dessins de Charles Buffet, père de Bernard.

Au « Bouillon Pigalle ». L'établissement tourne à une moyenne de 1.300 couverts par jour.

Au « Bouillon Pigalle ». L’établissement tourne à une moyenne de 1.300 couverts par jour.© Raphaël Dautigny pour Les Echos Week-End

Servir entre 1.000 et 1.800 couverts par jour, voire plus, pour un prix défiant toute concurrence, nécessite une logistique imparable. Ici, tout est pesé au gramme près. C’est un métier de « centimier ». Tout compte. Chez « Julien », le bouillon comporte 120 g de viande, 65 g de pâtes fregola et 25 g de carottes. La part de poisson varie entre 125 et 140 g. Le chou chantilly, la star des desserts, qui revient à 63 centimes, est vendu 2,90 euros. La noria des plats et des chefs de rang est à couper le souffle. Pas plus de trois manipulations par plat, 15 km parcourus à chaque service – « deux fois plus qu’un joueur de foot », précise un serveur. Et toujours avec le sourire ! Pour cela, ils sont bien payés. À Pigalle, 2.300 à 2.800 euros par mois pour quatre jours de travail par semaine. Selon les établissements, les chefs de rang peuvent espérer de 500 à 700 euros de pourboire.

Cuisine maison et circuits courts

Pas question pour autant de céder sur la qualité. « La cuisine est faite maison en circuit court avec des produits qui répondent à une charte de qualité et d’abattage, explique Thomas Moretto, au « Bouillon Pigalle ». On a construit de véritables partenariats avec les producteurs, dans un rayon de 150 km autour de Paris si possible. Souvent, au début, quand on indiquait les volumes dont nous avions besoin, ils étaient surpris. Parfois, quand je change de morceau de viande, je les préviens un mois à l’avance afin qu’ils puissent s’organiser. »

Steak frites, sauce au poivre, au « Bouillon Pigalle ». 

Steak frites, sauce au poivre, au « Bouillon Pigalle ». © Raphaël Dautigny pour Les Echos Week-End

Tarte au citron meringuée, au « Bouillon Pigalle ». 

Tarte au citron meringuée, au « Bouillon Pigalle ». © Raphaël Dautigny pour Les Echos Week-End

À « Pigalle », sont traités chaque jour 600 oeufs, 500 kg de pommes de terre, 100 kg d’oignons, 90 kg de courges, 80 kg de choux rouges et verts, 45 kg de coeurs d’artichauts, 112 kg d’échine, 75 kg de bourguignon, 100 kg de poulet, 25 kg de poisson frais et 60 kg de panés maison, 60 kg de chocolat, 24 litres de chantilly et 36 litres de crème anglaise.

Des prix riquiquis

Les produits passent un minimum de temps dans la chambre froide, sont consommés dans les 24 heures ; les cuissons sont longues et mitonnées, les marmites et les sauteuses tournent à plein régime, y compris la nuit. « La carte est modifiée quatre fois par an pour jouer sur les produits de saison, mais on peut effectuer de petits changements ponctuels. On part de l’ingrédient pour développer une recette et non l’inverse. Tout est contrôlé pour vérifier la qualité et le poids. Je passe beaucoup de temps à ça. Parfois, on me dit : ‘Tu pousses un peu le bouchon !’, mais non, c’est comme ça qu’on tient les coûts et la qualité, sinon ça glisse doucement et ça dérape. »

Echine de cochon du Perche, légumes sautés au miel et à la citronnelle, au « Bouillon Racine ». 

Echine de cochon du Perche, légumes sautés au miel et à la citronnelle, au « Bouillon Racine ». © Raphaël Dautigny pour Les Echos Week-End

Cheese-cake mangue-passion au « Bouillon Racine ».

Cheese-cake mangue-passion au « Bouillon Racine ».© Raphaël Dautigny pour Les Echos Week-End

Bien manger pour moins de 20 euros : c’est le défi. Chez « Chartier », le menu est à 15,50 euros (ce jour-là, mardi 19 décembre 2023 : céleri rémoulade, langue de boeuf sauce diable, riz au lait). À la carte, les prix sont riquiquis et les parts copieuses : 1 euro le potage de légumes maison ; 2 euros l’oeuf dur mayonnaise ; 3,90 euros le filet de hareng pommes à l’huile. En plat, on peut choisir le boeuf bourguignon coquillettes à 10 euros, la saucisse au couteau de l’Aveyron à 9,80 euros ou encore le boudin noir aux deux pommes à 9,90 euros. Le plat le plus cher, la pièce de boucher sauce poivre, frites, culmine à 13,20 euros.

Au dessert, la crème au caramel (3,20 euros), le chou chantilly (3,80 euros), l’île flottante (3 euros) ou le baba au rhum (4,90 euros). La bouteille de Buzet s’affiche à 10 euros, le vin du moment, un côtes-du-rhône, à 15 euros. Mais si vous voulez faire une folie, vous pouvez vous offrir un margaux à… 39 euros (La Sirène de Giscours). En prime, si c’est votre anniversaire, les serveurs viendront vous le souhaiter en choeur ! Pour le champagne, comptez 45 euros.

Gloire aux Duval

Au milieu du XIXe siècle, Baptiste-Adolphe et Ernestine Duval ont inventé la formule magique du bouillon et l’ont développée de façon spectaculaire. Lui est fils de brasseur, natif de Linas, à l’ouest de Paris ; elle, fille de marchands de vin dans l’Aube. En 1840, ils tiennent une boucherie rue Coquillière, près des Halles. Ici, dans ce ventre de Paris, foisonnent des tables de fortune où l’on sert du bouillon aux travailleurs de force. « On faisait bouillir les viandes destinées aux classes populaires afin qu’elles ne se corrompent pas, note Benoît Collas, guide touristique et historien, auteur d’un mémoire de master sur le monde des bouillons. Les classes aisées, elles, mangeaient de la viande rôtie. »

Les Duval ont l’idée de créer un établissement d’un genre nouveau qui leur permettra d’écouler leur viande en grande quantité, y compris les bas morceaux, et d’augmenter leurs marges plutôt que de les laisser à d’autres. Leur premier restaurant ouvre le 3 juin 1855, rue Montesquieu, dans le quartier du Palais-Royal. Ils ont vu grand, et ils ont vu juste. Leur bouillon, installé dans une vaste salle à la structure métallique spectaculaire, un ancien dancing, offre pas moins de 500 couverts ! La carte est riche, les tables en marbre, les prix raisonnables, le service rapide. Quand on a fini, on va à la caisse régler son coupon. Tout est si moderne, si efficace… Le succès est foudroyant. Un journaliste s’émerveille : « Le restaurant qui s’ouvre permet d’opérer une véritable révolution dans l’art culinaire parisien. Tout n’est que chêne et marbre. Sur chaque table a été placé un double robinet pour fournir de l’eau de Seltz à discrétion. On entre, on vous donne un carton, sur lequel sont indiquées les choses que l’on peut se faire servir. Vous marquez ce qui vous convient et les garçons vous servent aussitôt. »

Les Duval se retrouvent bientôt à la tête d’un petit empire d’une quarantaine de bouillons où tout est centralisé, calculé, pesé, minuté. « Intégration verticale, circuit court, traçabilité des produits, hygiène irréprochable, l’affaire est menée de main de maître, note l’historien Loïc Bienassis. Elle est au pic de la modernité. » Le groupe Duval possède sa propre boulangerie, une société de lait, une fabrique d’eau de Seltz, des chais à Bordeaux et à Bercy, et même une blanchisserie. Avec l’Exposition universelle de 1867, le nombre des repas servis explose. Dans la foulée, l’entreprise est cotée en Bourse. Même Aristide Bruant chante la gloire des Duval : « Je suis la caissière/Du bouillon Duval/Aussi j’en suis fière/Car on y mange pas mal/A ceux qui s’y trouv’mal/Je dis avec raison/Quand on vient chez Duval/Il faut boire un bouillon. »

La folie bouillon à travers Paris

Groupe Joulie :

« Bouillon Chartier » : trois adresses.

L’historique, au 7, rue du Faubourg Montmartre, XIe.

A Montparnasse : 59, bd du Montparnasse, VIe.

A la gare de l’Est : 5, rue du 8 Mai 1945, Xe.

Groupe Trasco :

« Bouillon Julien » : 46, rue du Faubourg Saint-Denis, Xe.

Groupe Moussié :

« Bouillon Pigalle », 22, boulevard de Clichy, XVIIIe.

« Bouillon République », 39 boulevard du Temple, IIIe.

Et aussi :

« Bouillon Racine », 3, rue Racine VIe.

« Le petit Bouillon Pharamond », 24, rue de la Grande-Truanderie, Ier.

« Comme un Bouillon », 17, rue de Choiseul, IIe.

« Le petit Bouillon Vavin », 119, boulevard du Montparnasse, VIe.

« Le Bouillon 47 », 47, rue Marguerite de Rochechouart, IXe.

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