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Comment Instagram et TikTok réinventent le caviar

Écrit par le 4 avril 2024


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L’adresse est mythique et depuis cent quatre ans déjà synonyme d’élégance. Au numéro 18 du boulevard Latour Maubourg, dans le VIIe arrondissement de la capitale, on croirait voir resurgir quelques fantômes du passé devant la devanture à peine changée de la maison Petrossian. Sorties des archives pour l’occasion de notre rendez-vous, les photos en noir et blanc exhument des souvenirs et des silhouettes d’un autre temps : on y voit des hommes moustachus vêtus de longs pardessus avec, à leurs bras, des femmes portant des manteaux de fourrure. Tous se pressent chez Petrossian comme on se rend dans un lieu de plaisir et de volupté. Derrière les souvenirs, la même histoire se déguste encore et toujours : celle d’un caviar au goût inimitable et à l’image désirable.

File d'attente devant la boutique Petrossian, boulevard Latour-Maubourg, à paris, dans les années 1970.

File d’attente devant la boutique Petrossian, boulevard Latour-Maubourg, à paris, dans les années 1970.©Petrossian

En l’espace d’un siècle, Petrossian, courageuse entreprise issue du coeur battant de la communauté arménienne, est devenue une véritable institution. En nous recevant dans son antre double (un restaurant cossu et, de l’autre côté de la rue, la boutique phare) Mikael Petrossian, son jeune capitaine, ne résiste pas à la tentation de se replonger dans l’histoire familiale. « Une véritable épopée qui remonte aux années 192,0 lorsque les frères Melkoum et Mouchegh Petrossian ont une intuition : faire découvrir (et aimer !) les oeufs d’esturgeon aux Français ! » Les deux frères seront les premiers à implanter le caviar dans l’Hexagone. La suite est connue de tous. Le succès rencontré par la famille Petrossian va dépasser toutes les espérances. Dans la France de l’époque, pointilleuse en matière de gastronomie, et encore peu clémente avec les nouvelles têtes déterminées à s’offrir leur place au soleil, le caviar parvient à s’imposer – premier exploit – et va même conquérir les palais les plus raffinés.

Mikael Petrossian, l'actuel PDG de la maison familiale crée en 1920.

Mikael Petrossian, l’actuel PDG de la maison familiale crée en 1920.©Nicolas Anetson

Des années plus tard, alors que les modes passent, les têtes couronnées se succèdent et parfois même tombent, la puissance symbolique de l’aliment demeure. Pour le plus grand bonheur de la dynastie Petrossian ! Au fil du temps, la maison a su évoluer avec son temps, accompagnant les changements de générations, passant du caviar sauvage au caviar d’élevage et d’une pratique artisanale à un savoir-faire d’exception. Entretemps, la filière s’est largement transformée, a frôlé la disparition et pris conscience de sa fragilité. En France, en Chine, en Israël, en Bulgarie et jusqu’en Uruguay, il a fallu que Petrossian trouve des fermes partenaires avec lesquelles travailler sur ses standards haut de gamme.

Des sélections de caviar élaborées sur mesure

Une stratégie payante. En 2024 plus que jamais, les grands chefs font confiance à la marque. Mieux, ils élaborent sur mesure chez Petrossian leur sélection idéale, goûtent et testent jusqu’à trouver les saveurs qui seront servies à leurs tables. Dans le giron de la maison, on trouve ainsi quelques fidèles de prestige : Anne-Sophie Pic, David Toutain, Emmanuel Renaut ou encore Adeline Grattard. Tous étoilés, tous plébiscités par les gourmets et les connaisseurs.

Mais s’il reste magnifié par les meilleures toques, le caviar a symboliquement conquis un tout autre terrain : le virtuel et les réseaux sociaux. Il suffit pour s’en assurer d’ouvrir Instagram et TikTok. De nouveaux espaces a priori contre-intuitifs pour l’osciètre, le béluga et leurs cousins. C’était compter sans la faculté de quelques influenceurs à imposer le produit – et surtout sa dimension luxe – à leurs communautés. Prenez Danielle Zaslavsky. Autoproclamée « caviar connaisseur », cette dernière poste, entre deux vidéos consacrées à ses looks du jour et autres sessions maquillage, des clips savamment orchestrés de ses dégustations. Avec à la clef, dès la première mise en ligne, près de 10 millions de vues.

Hugo Bourny, chef du restaurant « Lucas ».

Hugo Bourny, chef du restaurant « Lucas ».©Le Photographe du Dimanche

 «Pour la plupart des gens, le caviar est peu familier ou très intimidant, explique l’influenceuse. Beaucoup supposent qu’il est extrêmement cher, et on leur a appris à le manger uniquement pour des occasions spéciales. J’essaie d’éduquer mes abonnés, de rendre le caviar plus universel et de leur montrer qu’il existe des prix d’entrée très abordables.» Une stratégie loin d’être innocente. Car derrière ses vidéos virales, c’est bien la production familiale de Marky’s que la « reine du caviar » promeut. Une société crée en 1983 en Floride par Mark Zaslavsky, émigré russe et… père de la jeune femme. Ou comment faire d’une pierre, deux coups.

Capture d'écran du compte Instagram de l'influenceuse Danielle Zaslavsky. Derrière ses vidéos virales, c'est le caviar de la société paternelle qu'elle promeut.

Capture d’écran du compte Instagram de l’influenceuse Danielle Zaslavsky. Derrière ses vidéos virales, c’est le caviar de la société paternelle qu’elle promeut.@dzaslavsky

Dans un curieux retournement, le virtuel est devenu la nouvelle porte d’entrée pour s’initier au caviar. Une évolution confirmée par Mikael Petrossian : « La présence sur Internet est devenue clé. On connaît un vrai phénomène ‘Web to store’. Concrètement, les gens consultent le site, se renseignent sur les prix et les produits et ont déjà leur liste de course prête quand ils arrivent en boutique. Charge à nous de les conseiller ensuite. Le web permet d’abolir la peur de franchir le seuil de nos boutiques. »

Caviar Ossetra Tsar Imperial, Pétrossian.

Caviar Ossetra Tsar Imperial, Pétrossian.©Aimery Chemin

Pour Adeline Glibota, rédactrice en cheffe adjointe du magazine Le Chef et créatrice du podcast à succès «Girls in Food», sociologiquement et gastronomiquement parlant, « il y a un grand écart évident entre le caviar, produit de luxe par excellence, et les réseaux sociaux, qui sont le mass media ultime. La visibilité du caviar sur Instagram ou TikTok créé du désir et des attentes fortes chez les consommateurs. Cela peut parfois engendrer de la déception, car la multiplication des acteurs sur le marché du caviar segmente l’offre, du plus haut de gamme à des produits très médiocres ».

Il y a vingt ou trente ans, le caviar se montrait peu. Aujourd’hui, il est visible partout.

Eric Frechon Chef de l’«Epicure»

Il n’empêche : plus encore que la truffe, le homard ou le foie gras, le caviar est devenu cet outil permettant « d’upgrader » un plat, une carte, de leur faire franchir le mur du son et surtout de faire gonfler l’addition. « Aujourd’hui, la tentation est de mettre du caviar pour la forme, pour faire luxe, explique Omar Dhiab, grand espoir de la nouvelle génération et déjà étoilé dans son restaurant de la rue Hérold, à Paris. Or, quand on met du caviar sur un plat, il faut qu’on le sente. Sinon ce n’est que de l’artifice. » Pour Eric Fréchon, chef multi-étoilé qui nous reçoit dans son bureau niché au milieu des spectaculaires cuisines de l’hôtel Bristol à Paris, cela ne fait aucun doute : « Les réseaux sociaux ont d’une certaine manière bouleversé notre vision du produit. Il y a vingt ou trente ans, le caviar se montrait peu. Aujourd’hui, il est visible partout.» Selon lui, l’évolution répond a une demande du consommateur autant qu’à l’esthétique du moment : « En termes d’image, sur des photos et dans l’assiette, les grains de caviar produisent leur effet. Ils ont leur photogénie, un effet saisissant.»

Un entrée signature du chef Eric Frechon : caviar de Sologne, pommes de terre ratte fumées au haddock, croustillant de sarrasin, crème aigrelette.

Un entrée signature du chef Eric Frechon : caviar de Sologne, pommes de terre ratte fumées au haddock, croustillant de sarrasin, crème aigrelette.©Benoit Linero

Enclins à surfer sur la tendance, de plus en plus de restaurants mettent du caviar à leur carte. «Pour vous dire, à New York, j’en ai même vu dans un restaurant de dumplings [ravioles chinoises, NDLR], raconte Mikael Petrossian. Les branchés en veulent ! Cela donne des ravioles aux crevettes avec possibilité d’y ajouter du caviar pour 58 dollars.»

Eric Frechon, chef du restaurant «Epicure» de l'hôtel «Bristol». La démocratisation a du bon ,tant qu'elle ne galvaude pas le produit.

Eric Frechon, chef du restaurant «Epicure» de l’hôtel «Bristol». La démocratisation a du bon ,tant qu’elle ne galvaude pas le produit.©Benoit Linero

La même tendance s’observe en France. Lorsqu’elle ouvre Golden Poppy, sa première adresse française, la superstar Dominique Crenn propose illico des pancakes à la banane arrosés de caramel et surmontés d’osciètre. Une association aussi efficace que déroutante, très commentée en ligne. Pour Adeline Glibota, « par sa seule présence, le caviar a la capacité d’élever un plat, de le faire passer dans le monde du luxe et de la haute gastronomie, et ce qu’il soit associé à des ingrédients simples ou ajouté à un plat déjà sophistiqué par ailleurs»

Marqueur de l’exceptionnel et de la grande occasion, l’or noir fascine encore et toujours. Mais sa surexposition ne risque-t-elle pas de lui nuire pour de bon ? Pour Eric Fréchon, « la démocratisation a du bon». Tant qu’elle ne galvaude pas le produit. « Elle permet à des consommateurs de découvrir la ressource, d’accéder au caviar sans forcément se ruiner.» Pour autant, la prudence est de mise :« Le risque majeur, c’est la surproduction. La Chine, Madagascar, l’Italie, la Thaïlande et d’autres arrosent le marché avec des prix tirés vers le bas, des produits peu qualitatifs qui n’auraient de caviar que le nom… En lui faisant miroiter un caviar abordable, on berne le consommateur ! »

En cuisine, à rebours de l’instagramisation du produit, une nouvelle génération s’emploie à travailler le caviar en le magnifiant à nouveau. Face à la Madeleine, dans les salons Art Nouveau du restaurant Lucas Carton, un petit génie s’affaire : Hugo Bourny. Passé par les équipes d’Arnaud Donckele, d’Anne-Sophie Pic puis d’Hélène Darroze, ce jeune chef à la main assurée entreprend de proposer le caviar dans un écrin. Sublimant le poireau maraîcher du Val-d’Oise, rehaussant le tourteau de casier des côtes bretonnes ou bien encore déposé sur une pomme de terre passée en friture au-dessus de dés de boeuf, les grains jouent chez Bourny le rôle-titre. « « Ici, explique le jeune chef étoilé, nous poursuivons un triple enjeu : faire renaître l’esprit parisien propre à cette adresse, tout en apportant une note résolument moderne et ancrée dans son époque. Et puis il y a cette envie de faire découvrir ou redécouvrir le caviar à notre clientèle. Patiemment, avec notre savoir-faire, notre fougue et notre passion » Pour y parvenir, le chef Bourny a deux armes fatales au moins : un menu tout caviar époustouflant en 5 services (300 euros) ainsi qu’une proposition découverte « jeunes » destinée aux moins de 35 ans (4 services pour 150 euros). De quoi goûter à l’épure et à l’exubérance ou, dit en langage 2.0, au frisson du #oldmoney et du #caviarTok…

Manger du caviar, ça s’apprend

Qui n’a jamais eu un premier sentiment de quasi-rejet en goûtant pour la première fois du caviar ? Même les plus grands gourmets ont connu cette impression. « C’est un produit d’accès complexe dit Eric Fréchon. Il y a un processus, un apprentissage. On commence par ne pas l’aimer et, une fois initié, on l’adore ! Mais cela demande du temps ». Omar Dhiab en témoigne, qui n’a pas été un fan de la première heure, loin de là. « Au début, j’appréhendais mal la matière. La dégustation m’a permis de comprendre la subtilité du produit, les nuances entre les différentes références, le tout dans un ordre bien défini. Il faut en passer par là pour adorer le caviar, le jeu des textures, les parfums et les saveurs car on ne peut pas faire n’importe quoi avec ce produit ». Preuve que l’initiation a fonctionné, des canapés aux desserts, Dhiab est aujourd’hui capable de servir un menu pointu en 6 temps contenant du caviar sous différentes formes et associations. Du travail d’orfèvre !

Petrossian cible aussi les jeunes

« L’âge moyen du client a tendance à baisser, c’est vrai dans le caviar mais plus généralement dans le monde du luxe, souligne Mikaël Petrossian. Notre travail est de continuer à rendre le produit désirable pour les jeunes générations, que ces dernières comprennent qu’il n’y a pas forcément besoin d’avoir les codes de nos parents pour en déguster, ni coupelles et couverts en argent, ni seau de glace…»Pour se réinventer, bien conseillé par la communicante Flavie Costamagna, Petrossian a mis en place une intéressante stratégie de micro-influence et de partenariats. Des collaborations qui débouchent parfois sur des succès inattendus, comme le lancement d’une paire de chaussures avec la marque Riviera ou d’un foulard avec les cachemires Kujten.

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