Drôle de Moment à la Scala Paris

L’art du bien-dire se paie souvent de mots, adroitement combinés dans des tournures évasives, mais assez éloquentes pour en masquer la vacuité. Sous la plume de Nicolas Doutey, l’exercice rhétorique se conjugue à l’examen de conscience dans « Le moment psychologique ». Présentée à la Scala Paris sous la houlette d’Alain Françon, la pièce imagine la rencontre, avec humour et un brin de naïveté, entre le quotidien de Monsieur Tout-le-Monde et les hautes sphères du monde politique.

Pierre et Paul, deux amis d’enfance, ont rendez-vous. À peine dépassée la gêne des retrouvailles, So, une jeune assistante de direction que ni l’un ni l’autre ne connaissent, fait irruption dans leur conversation. Elle aussi a fixé rendez-vous à Paul – mais il n’a pas été prévenu – pour lui faire rencontrer sa supérieure Matt, une femme politique qui doit les rejoindre d’une minute à l’autre.

Toutes deux ont observé le comportement de Paul et sont convaincues qu’il serait un atout majeur dans la mise en oeuvre de leur projet, visant à réformer le politique à l’échelle mondiale. Tout flatté par cette attention soudaine, Paul se retrouve à jongler entre deux conversations où les interlocuteurs passent du coq à l’âne, s’égarent dans des pointes d’aiguilles et des quiproquos absurdes.

Tergiversations politiques

Alain Françon dirige d’une main habile les six comédiens dans une mise en scène qui donne toute sa place au texte de Nicolas Doutey. Tandis que Rodolphe Congé fait osciller Paul entre hyper-réflexivité et flot de paroles performatives, Dominique Valadié articule avec brio et aplomb les tours de passe-passe discursifs de la femme politique.

Aux divagations de l’un, dissertant sur l’être-au-monde de sa bouteille d’eau et s’improvisant psy pour sa bouilloire pseudo-déprimée, répondent les phrases creuses mais élégamment alambiquées de l’autre, alternant métaphores climatiques et pastiches de maximes kantiennes. Surveillées par un agent des services de renseignement en chaussettes rose bonbon (taillé pour Louis Albertosi), leurs tergiversations mènent à une collaboration tripartite avec Pam, une associée de Matt aux attributions non moins mystérieuses.

Finalement, seul Pierre semble avoir du mal à trouver sa place dans ces conversations croisées, malgré l’interprétation convaincante de Pierre-Felix Gravière. Plusieurs fois, à force de tourner autour du pot, le texte menace de s’étirer en longueur et on se demande bien où le mènent ses circonvolutions verbales. Mais les enjambements et pirouettes stylistiques imaginées par Nicolas Doutey charment aussi par leur humour plein d’astuce. Orchestré par Alain Françon, Le moment psychologique s’apprécie dans l’instant présent, pour peu qu’on s’y laisse surprendre.