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Le Blue Book, le stage le plus recherché d’Europe

Écrit par le 10 avril 2024


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Quel est le point commun entre Christine Ockrent, le roi Felipe VI d’Espagne et l’ancien président du Conseil italien Mario Monti ? Ils ont tous effectué un stage à la Commission européenne dans leur jeunesse.

Le programme dit Blue Book  de l’exécutif européen est tout simplement le plus important au monde. Pour chacune de ses deux sessions annuelles de cinq mois (octobre-février et mars-juillet), la Commission reçoit entre 10.000 et 15.000 candidatures. Moins d’un millier de personnes seront au final retenues. Elles auront l’opportunité de travailler au siège du Berlaymont, dans l’un des bâtiments de la Commission du quartier européen de Bruxelles, l’un de ses bureaux de représentations ou l’une des agences de l’UE dans un Etat membre.

Le nombre élevé des postulants s’explique par le prestige de l’institution, la densité de ces expériences de haut niveau où les stagiaires mettent les mains directement dans le moteur de l’Union, et l’accélération de carrière que peut induire cette ligne de CV.

Théorie et pratique

Laura Baldon, diplômée de l’Essec puis du master d’affaires européennes de la London School of Economics (LSE), a passé cinq mois au cabinet de Thierry Breton, commissaire au Marché intérieur . « J’ai pu participer au trilogue final [négociation terminale d’un texte européen entre Etats membres, eurodéputés et Commission, NDLR] sur l’intelligence artificielle qui a duré 38 heures. J’étais au coeur de la machine démocratique », raconte la Française, encore des étincelles dans les yeux.

« J’ai vu dans le monde réel l’application de ce que j’avais appris de manière théorique, ajoute-t-elle. Avant, j’imaginais qu’un commissaire avait plus de marge de manoeuvre. En fait, il est contraint par les procédures, les calendriers, le principe de collégialité. Mais cela laisse beaucoup de champ au travail politique pour convaincre ses homologues. »

Même constat pour Cyriaque Dubois, qui a, lui, fait son stage au cabinet de Margrethe Vestager, commissaire à la Concurrence, chargée notamment des dossiers d’aides d’Etat, de fusions-acquisitions ou de pratiques commerciales illégales. Lui aussi avait un solide bagage théorique (Assas, IEP Paris, LSE). « Je connaissais certes les traités et l’actualité de la concurrence, mais je ne soupçonnais pas le jeu des échanges entre le cabinet et la direction générale, les relations entre les cabinets des commissaires ou le rôle du treizième étage [où travaillent Ursula von der Leyen et son équipe proche, NDLR]. »

Premières semaines intenses

Pour des raisons de confidentialité, les stagiaires sont parfois exclus des réunions les plus critiques. « Je n’ai pas pu assister à la préparation du texte de la Commission sur la sécurité économique, le sujet était trop sensible », se souvient Guillaume Joba qui, après un master au King’s College de Londres, est entré au cabinet de Valdis Dombrovskis, vice-président exécutif de la Commission, en charge du Commerce, entre autres. Lui a été marqué par le souci de l’équipe de contenir les frais de déplacement : « C’est peut-être dû au fait que j’avais un commissaire letton et un chef de cabinet allemand. » Deux nationalités identifiées comme « frugales ».

Blanca Mendez, Madrilène diplômée du Collège d’Europe de Bruges, est arrivée au service des porte-parole, dans le cluster des relations extérieures, le 1er octobre dernier. Soit six jours avant les attaques terroristes du Hamas contre Israël qui vont vite créer de très graves tensions entre les Vingt-Sept. « Pendant des semaines, ce dossier a mobilisé toutes les personnes avec qui je travaillais. J’ai pu observer en première ligne la réponse de la Commission à une crise de cette ampleur », indique l’Espagnole. Même une fois la tempête passée, elle est restée impressionnée par le rythme de travail de son service : « Dans les relations étrangères, il y a toujours quelque chose qui se passe quelque part. »

Pour ces stagiaires, qui ont pour la plupart entre 25 et 30 ans, les premières semaines se révèlent souvent rock’n’roll. « Il y a au moins un mois d’atterrissage, estime Guillaume Joba, le temps de se familiariser avec tous les acronymes, les abréviations, le jargon, le rythme des réunions, tous nos interlocuteurs. » Ceux qui ne prennent pas rapidement le rythme ou ne cherchent pas le travail risquent de passer à côté de l’expérience.

Carnet d’adresses

Car les services ont besoin de sentir du répondant. « Notamment en cabinet, c’est un vrai enjeu d’avoir un ou une bonne stagiaire qui apprend vite, car cela permet de déléguer et d’alléger un peu une charge de travail très lourde », explique Simon O’Connor, conseiller communication de Paolo Gentiloni, le commissaire aux Affaires économiques .

Les stagiaires les plus assidus continuent à potasser pendant le week-end. Andrea Beltramello, aujourd’hui chef d’unité à la direction générale Fisma (services financiers) se souvient d’un début de stage très studieux, en octobre 2005, à la direction générale Taxud (fiscalité) : « On m’avait confié une grosse responsabilité sur un rapport qui était en retard et nécessitait beaucoup de tableaux. Le week-end, je me plongeais dans un manuel Excel. Cela m’a beaucoup servi par la suite. »

Le 1er mars 2024, les stagiaires étaient invités à une conférence de bienvenue dans l'hémicycle du Parlement européen à Bruxelles.

Le 1er mars 2024, les stagiaires étaient invités à une conférence de bienvenue dans l’hémicycle du Parlement européen à Bruxelles.Fred Guerdin/Ecta

Si ces jeunes gens s’impliquent autant, c’est que le Blue Book peut déboucher sur de belles opportunités au sein de la Commission, ou en dehors, ou nourrir un carnet d’adresses qui se révélera utile par la suite. Olivier Bailly, aujourd’hui directeur en charge des dossiers globaux au Service européen d’action extérieure, se félicite encore d’avoir fait son stage, en 1995-1996, à la représentation de la Commission à Paris – comme Christine Ockrent. Sur la base de ses états de service, il est recommandé à Michel Barnier, alors secrétaire d’Etat aux Affaires européennes, pour faire sa revue de presse très matinale en tant qu’appelé du contingent.

Du stage au cabinet de commissaire

Après la dissolution de 1997, le nouveau ministre, Pierre Moscovici, décide de conserver cet aspirant zélé qui deviendra, dix-sept ans plus tard, son chef de cabinet quand lui-même sera nommé commissaire aux Affaires économiques. Olivier Bailly se remémore en souriant qu’à l’origine, « le Blue Book était un véritable annuaire bleu en papier, que les recruteurs devaient parcourir en entier pour dénicher les perles. Aujourd’hui, on a des filtres dans la base de données, évidemment. »

Célia Dejond, une Liégeoise qui a postulé trois fois avant de décrocher en 2017 son Blue Book dans l’unité en charge des représentations de la Commission dans les Etats membres, est ensuite restée à la direction générale Communication, ce qui lui a permis de rejoindre en 2019 le service des porte-parole du nouvel exécutif von der Leyen. Fin 2023, alors qu’arrive à Bruxelles un nouveau commissaire néerlandais, elle rejoint son cabinet et devient fonctionnaire. « Donc on peut en six ans passer d’un statut de stagiaire à un poste en cabinet », affirme joyeusement celle qui dit voir les choses différemment aujourd’hui. « Je reste car je suis convaincue qu’on a ici un impact sur les choses et la marche du monde, mais je suis moins idéaliste ou grandiloquente, j’ai plus conscience des contraintes. »

Tous les stagiaires ne restent pas dans les institutions, loin de là. Claire Demesmay, qui a effectué son Blue Book en 2000 au Secrétariat général dans une cellule d’accompagnement du grand Elargissement de 2004, a choisi la recherche. « Mais cette expérience a eu un impact considérable sur mon parcours, assure la politiste du Centre Marc Bloch à Berlin. D’abord, le stage a réorienté le sujet de la thèse que j’avais commencée. Ensuite, le séjour bruxellois m’a fait sortir de la simple dynamique franco-allemande, dans laquelle je baignais à Dresde, et j’ai embrassé une approche plus interculturelle. » Au cours de sa carrière, quand elle a recruté, la chercheuse a toujours noté attentivement les lignes Blue Book dans les CV reçus.

Vie sociale

Pour garder les meilleurs ou les plus motivés, la Commission a mis en place en 2018 un programme spécial pour les hauts potentiels, baptisé JPP (Junior Professionals Programme), auquel peuvent postuler les Blue Book. S’ils sont retenus, ils entament un contrat de trois ans qui leur permet de s’immerger dans trois directions générales et de postuler aux concours internes. Les places sont chères : seulement deux promotions annuelles de 25 personnes chacune.

Le Blue Book n’est pas que labeur, bien sûr. Les stagiaires ont une vie sociale dense, orchestrée par de nombreuses boucles WhatsApp. Certains d’entre eux se connaissent de leur cursus précédent. Chaque jeudi soir, la jeunesse de la « bulle » européenne fait bamboche sur la place du Luxembourg (« Plux »). L’ECTA, l’association des stagiaires de la Commission, n’organise pas seulement des conférences ou des foires à l’emploi, mais aussi de grandes fêtes. Par exemple aux Jeux d’hiver, un club chic lové au coeur du bois de la Cambre, le poumon vert de Bruxelles. Des romances s’y nouent…

Diversité sociale

Reste la question de l’accessibilité de ce programme. Cyriaque Dubois le concède : « Le groupe des stagiaires manque quand même de diversité sociale, nous sommes nombreux à venir de milieux favorisés. » Le programme prévoit certes une allocation mensuelle de 1.376,89 euros. Mais pas de quoi couvrir les frais de la vie bruxelloise, surtout après l’envolée des prix des trois dernières années. Célia Dejond, par exemple, rentrait dormir chez ses parents à Liège, à une heure de Bruxelles, quand elle était Blue Book. Il est difficile, pour un jeune sans le soutien de sa famille, de faire le stage dans de bonnes conditions. L’ECTA a soulevé le problème dans le passé auprès de la Commission.

A l’approche des élections européennes , ces stagiaires enthousiastes ne peuvent qu’encourager leur entourage à voter. Même s’ils ont conscience de la difficulté à intéresser. « Pour ma soeur de 24 ans qui est venue me rendre visite au Berlaymont, l’Europe se résume à Glucksmann », sourit Guillaume Joba. « Quand je rentre chez moi dans le sud de la France, je vois bien le décalage qu’il peut y avoir entre ce que je vis à Bruxelles et une certaine indifférence pour les sujets européens », remarque Laura Baldon. Qu’importe, on sent ces jeunes gens capables de déplacer des montagnes.

Blue Book, mode d’emploi

Il est désormais trop tard pour postuler à la session d’octobre 2024, mais on peut se préparer à celle de mars 2025. Il faut avoir achevé un cycle d’études supérieur d’au moins trois ans, ne pas avoir d’expérience de plus de six semaines dans les institutions européennes, afficher de solides compétences linguistiques. Des places sont réservées à des ressortissants de pays extra-européens. L’évaluation prend en compte les diplômes (les masters ont un avantage sur les bachelors), l’expérience professionnelle, l’engagement associatif, les langues. Quelque 3.000 candidats intègrent la base de données, mais moins d’un tiers trouvera finalement un stage. La Commission assure une répartition géographique qui reflète la démographie des Etats membres. Les nationalités les mieux représentées sont donc les Allemands, les Italiens et les Français.

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