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Permis de conduire : comment j’ai récupéré mes points

Écrit par le 1 février 2024


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« C’est mon septième stage », me confie d’emblée, un brin blasé mon voisin de gauche, un quadra entrepreneur adepte des petits excès de vitesse à scooter ou en voiture. « Moi, j’en fais un tous les ans ! Ça me permet de gérer mon capital de points », explique dans un sourire ma voisine de droite, la trentaine rayonnante, pour laquelle la route est un des derniers espaces de liberté… ce qui la conduit à accumuler les amendes et les retraits de points. Pour ma part, c’est une première. L’usage intempestif d’écouteurs au volant m’a valu d’atterrir ce mardi matin dans cette salle d’une auto-école, située à Paris à deux pas de la gare Montparnasse.

Je vais y passer deux jours en compagnie d’une vingtaine de personnes. Et cette perspective n’a rien de très excitant. Murs blancs, porte bleue, parquet stratifié, la pièce a des allures de classe de collège de laquelle on aurait retiré l’estrade et le tableau. Deux tables disposées en T font face à une vingtaine de chaises en plastique formant un U.

Deux hommes y ont pris place. J’apprendrai dans l’heure et demie qui suit, consacrée à d’interminables formalités administratives, qu’il s’agit d’un psychologue et de notre instructeur, un spécialiste de la sécurité routière. Au mur, quelques affiches sont là pour rappeler aux arrivants la raison de leur présence. Elles indiquent la signification des principaux panneaux de signalisation.

Sorte de confessions publiques

Bienvenue dans un stage de récupération de points du permis de conduire. Ou plutôt, de sensibilisation à la sécurité routière, selon le jargon administratif . Au carrefour de la confession publique, dans laquelle chacun sera conduit à un moment ou un autre à avouer ses péchés, et du groupe de parole façon Alcooliques anonymes, où les participants sont encouragés à améliorer leur comportement, ces réunions voient défiler chaque année plus de 350.000 personnes. Soit près de 1% des titulaires du permis de conduire. Une proportion stable, dans laquelle les récidivistes – les réitérants en langage sécurité routière – représentent un tiers des effectifs. Ce qui pose la question de l’efficacité du modèle… On y reviendra.

Dans ces assemblées, on croise peu ou pas de grands délinquants routiers, dont les cas relèvent de la justice, mais une foule de Madame et, surtout, de Monsieur Tout-le-Monde qui ont pris des libertés avec le Code de la route, sans forcément en mesurer les risques pour eux-mêmes et les autres. Petits excès de vitesse, refus de priorité, utilisation du téléphone au volant, consommation d’alcool ou de stupéfiants en deçà de certaines limites, sont les principales causes recensées. La banalité du mal, version routière en quelque sorte, puisque 96% des accidents mortels sont liés à des infractions.

©Lucas Burtin pour les Echos Week-End

Une banalité sans frontière sociologique manifestement. Car ce qui frappe d’emblée, quand on participe à l’un de ses stages, c’est l’hétérogénéité de l’assistance. Depuis la disparition du service national et des fameux « Trois jours », ces sessions sont devenues l’une des seules occasions, voire la seule, où toutes les France se côtoient.

Dans mon cas, celles des VTC, des chauffeurs livreurs, des commerciaux, des conducteurs de SUV amateurs de vitesse, des jeunes urbains accros du téléphone ou des retraités plus âgés qui n’ont pas renoncé à leurs habitudes de conduite héritées d’un temps où le port de la ceinture de sécurité n’était pas obligatoire et la vitesse peu contrôlée.

Bref, un véritable melting-pot de Gaulois réfractaires au Code de la route sans distinction d’âge ni de catégories socioprofessionnelles. Un objet d’étude à l’heure de l’archipélisation de la société.

« C’est le principal intérêt de ce pensum où l’on n’apprend pas grand-chose », juge un cadre dirigeant d’un groupe international, qui se souvient encore du stage effectué il y a une dizaine d’années dans la Manche, à proximité de sa résidence secondaire, et du nombre important de stagiaires devant leur présence à une consommation d’alcool bien supérieure au 0,5 gramme par litre réglementaire.

90% des participants sont des hommes

L’autre caractéristique de ces stages, c’est le taux de testostérone qui y règne. Les femmes représentaient un quart de l’effectif dans le mien. Une anomalie apparemment, puisqu’à l’échelle nationale, 90% des participants sont des hommes. Et cela ne doit rien au hasard. « La capacité à prendre des risques, y compris physiques, et la transgression de la règle sont des attendus de la masculinité », analyse Marie-Axelle Granié, directrice de recherche en psychologie sociale du développement à l’université Gustave Eiffel et membre du conseil des experts du Conseil national de la sécurité routière. « Ils s’expriment dans bien d’autres domaines, mais sont particulièrement présents dans l’attitude au volant. »

Et les femmes dans tout ça ? Avec la généralisation de l’usage du téléphone au volant – 80% des automobilistes utilisent leur smartphone en conduisant, selon le dernier baromètre AXA Prévention, et plus de 30% consultent ou envoient des SMS -, elles commencent à combler leur retard…

©Lucas Burtin pour les Echos Week-End

« C’est aussi affaire de stéréotypes. La charge mentale que supportent les femmes, qui doivent souvent mêler contraintes professionnelles et obligations familiales, les met en situation d’être moins concentrées sur la conduite et peut entraîner des comportements d’inattention », déclare Marie-Axelle Granié. Quant aux jeunes, ils sont également de plus en plus nombreux. À cause de leur addiction au téléphone évidemment. Mais aussi, parce que la détection de stupéfiants s’est intensifiée.

Des stages vécus comme une injustice

Hommes ou femmes, une chose est sûre, la plupart des stagiaires considèrent qu’ils n’ont rien à faire là. Ils le vivent même comme une injustice. D’autant que dans leur immense majorité, ils jugent la qualité de leur conduite au-dessus de tout soupçon. Invités à l’évaluer au cours de la première matinée du stage, ils la jugent bien supérieure à la moyenne le plus souvent. Sur la route, l’enfer c’est les autres, c’est bien connu !

Ce n’est donc pas pour corriger leurs défauts ou commettre moins d’infractions qu’ils ont payé entre 200 à 350 euros pour ces deux jours, mais pour sauver un permis sur lequel il ne reste plus qu’un à six points en général sur un capital de départ de douze. En clair, ils s’y rendent comme on va chez le dentiste. Parce qu’ils n’ont plus le choix.

C’est vraiment une purge. Il faut poser des congés et accepter de perdre son temps pendant quarante-huit heures.

« C’est vraiment une purge », estime sans fard un cadre quinquagénaire, qui peste contre le radar automatique placé – inutilement, selon lui – sur l’autoroute A4 à l’entrée de Paris qui l’a flashé trois fois en quelques semaines. « Il faut poser des congés et accepter de perdre son temps pendant 48 heures. »Mais la carotte des quatre points à récupérer fait son office. Pas de quoi recharger complètement son permis – on ne peut pas faire plus d’un stage par an -, mais suffisamment pour accepter de s’enfermer avec deux dizaines d’inconnus pendant quarante-huit heures.

Le but ? Provoquer une prise de conscience

Autant dire que l’ambition pédagogique du stage mise en avant par les pouvoirs publics n’est pas la préoccupation principale des participants. « L’objectif est de susciter chez ceux qui ont transgressé le Code de la route des comportements plus vertueux et apaisés et de montrer le risque qu’ils font courir à eux-mêmes et aux autres », explique Florence Guillaume, déléguée interministérielle à la sécurité.

Tout l’enjeu des deux journées de sensibilisation sera donc d’amener les participants à porter un regard critique sur leur conduite et sur les conséquences potentiellement graves des infractions qui les ont menés dans cette salle. Pour y parvenir, l’accent était mis jusqu’en 2006 sur la remise à niveau des connaissances et des savoir-faire. En gros, on repassait le code. Sans résultats probants.

Désormais, l’idée est de provoquer une prise de conscience. Plus question de faire la leçon ou de juger donc. Plus d’images d’accidents « gores » non plus, supposées bloquer le processus. « Le stagiaire doit devenir l’acteur du changement de ses habitudes de conduite », résume un peu pompeusement un instructeur.

Sur les 52 millions de titulaires du permis de conduire, 80% ont encore leurs 12 points.

Comment ? En multipliant les mises en situation et les données statistiques. En suscitant les témoignages des participants aussi. Les stagiaires sont invités par exemple à évaluer le caractère accidentogène des situations de conduite suivantes : par beau temps sur une ligne droite, sous la neige sur une route de montagne, en ville un jour de pluie.

De quoi démentir certaines idées reçues, puisque sous la pluie et encore plus sous la neige, les conducteurs sont beaucoup plus prudents qu’en été sur une nationale bordée de platanes… Il est d’ailleurs intéressant de constater qu’en 2020, la mortalité routière n’a que légèrement fléchi, alors même que le trafic était en forte baisse à partir de la mi-mars pour cause de confinements à répétition . Un phénomène à rapprocher de la hausse des grands excès de vitesse cette année-là.

Côtés statistiques, l’objectif est le même : créer un déclic. Effet garanti, lorsque l’instructeur demande à l’assistance de deviner la proportion des 52 millions de titulaires du permis de conduire qui ont encore leurs douze points. Personne dans la salle n’imagine qu’elle approche les 80% ! Et encore moins que ceux qui en ont encore au moins 10 dépasse les 85%.

Tout le monde comprend alors que le fait de s’arranger avec le Code de la route en espérant ne pas être pris sur le fait n’est pas la norme. Quant aux témoignages, ils finissent par émerger dans un cadre où on cherche à libérer la parole sans porter de jugement. C’est ainsi par exemple que les conducteurs arrêtés avec un téléphone à la main au volant changent souvent de version en cours de stage.

Après avoir affirmé dans un premier temps s’être contentés de le ramasser pour qu’ils ne gênent pas leur conduite, ils finissent par confesser qu’ils n’avaient rien trouvé de mieux à dire aux policiers. De manière plus anecdotique, j’apprendrai qu’un des participants à mon stage, un jeune salarié assez taciturne jusque-là, devait sa présence à l’indélicatesse de son ancienne compagne, visiteuse médicale, qui continuait à lui attribuer ses propres turpitudes routières après leur séparation ! Résultat, son capital points avait fondu pour des infractions qu’il n’avait pas commises.

Un coût de 40 milliards pour la société

Mon expérience m’aura appris trois choses. D’abord, que la sécurité routière est une politique publique récente et qu’elle est motivée, comme la lutte anti-Covid, par des impératifs de santé publique. C’est parce que les hôpitaux ne pouvaient plus absorber les centaines de milliers de Français gravement blessés chaque année sur les routes – 380.000 en 1972 auxquels il faut ajouter 18.000 morts – que les pouvoirs publics ont décidé de réagir au début des années 1970. Une longue marche entamée avec la création des limitations de vitesse, la lutte contre l’alcoolémie et le port obligatoire de la ceinture de sécurité, puis jalonnée notamment par le permis à points en 1992 et les radars automatiques onze ans plus tard.

Le deuxième enseignement, c’est le coût actuel des incivilités routières pour la collectivité. 40 milliards d’euros en 2022 ! Une somme à mettre en regard d’une collecte des PV estimée à 1,87 milliard d’euros cette année-là. De quoi relativiser l’idée que les radars automatiques constitueraient une manne pour l’Etat.

Enfin, la dernière leçon est plus personnelle. Ce stage m’aura rappelé à quel point l’intimité de l’habitacle est trompeuse. Conduire un véhicule à moteur est un acte éminemment social, qui impose de grandes responsabilités et le respect des règles communes.

900.000 personnes rouleraient sans permis…

Il n’empêche, comme la plupart des stagiaires je n’ai pas radicalement changé ma conduite depuis. Ce qui pose la question du durcissement des règles ou d’une répression accrue des infractions pour rendre les routes plus sûres. Pourquoi ne pas réduire le capital initial de points du permis par exemple, ou augmenter les primes d’assurance des conducteurs les plus sanctionnés ? Ou encore moduler le prix des amendes routières en fonction des revenus ?

Des solutions simples existent. Mais elles se heurtent à deux obstacles. L’acceptabilité sociale, d’abord. Comme l’a prouvé le rejet des 80 km/heure sur les routes nationales en 2018 . Les stratégies d’évitement et leurs effets pervers, ensuite. On estime à 900.000 le nombre de personnes qui roulent aujourd’hui sans permis et donc sans assurance. Dans un tel contexte, la volonté politique manque. D’autant qu’à 3.000 morts par an, le tribut de la route peut sembler relatif comparé aux 48.000 décès annuels dus à la pollution de l’air ou encore aux 72.000 liés au tabac…

L’assouplissement des sanctions contre les « petits » excès de vitesse fait débat

L’heure serait-elle à l’indulgence ? Après des années de renforcement de l’arsenal répressif des infractions routières, l’Etat vient de faire machine arrière. Depuis le 1er janvier, les excès de vitesse de moins de 5 km/h sont moins sévèrement réprimés . Ils sont toujours passibles d’une amende de 45 à 135 euros selon les circonstances, mais ne coûtent plus un point aux conducteurs verbalisés.

Une décision qui peut surprendre dans la mesure où la baisse de la vitesse est un facteur reconnu d’amélioration de la sécurité routière. Selon les travaux de deux chercheurs finlandais qui font référence dans le domaine, une réduction de la vitesse moyenne de 1 % entraîne une baisse de la mortalité de 4,6% hors agglomération.

Un coup politique donc ? Une interprétation contestée fermement par les pouvoirs publics qui ont parallèlement « durci les règles sur les comportements les plus accidentogènes : perte de points accrue pour consommation d’alcool ou de stupéfiants , excès de vitesse de plus de 50 km/h systématiquement considéré comme un délit », souligne Florence Guillaume, déléguée interministérielle à la sécurité routière. Un choix qui fera l’objet d’un premier bilan dans quelques mois.

Actiroute, le maître des stages

Les stages de récupération de points sont un business comme un autre. Si leurs modalités et leur contenu ont été strictement définis par un décret de 2006, leur organisation et leur bon déroulement sont confiés à des sociétés privées. Agréées à l’échelle départementale et soumises à des inspections régulières, elles bénéficient d’une totale liberté tarifaire. Un petit groupe privé se taille la part du lion des quelque 23.000 stages organisés chaque année. Baptisé Actiroute, cette entreprise vendéenne créée il y a une trentaine d’années a vu son activité décoller en 2012, lorsqu’il est devenu possible de faire un stage par an, contre un tous les deux ans jusque-là. Aujourd’hui présent dans 95 départements, Actiroute appartient toujours à son fondateur Joël Polto.

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