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Robert Badinter : la lutte à la mort

Écrit par le 9 février 2024


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Il a combattu la mort toute sa vie. Celle qui crie vengeance, celle qui monte sur l’échafaud au nom d’une justice qui n’était pas sienne. Celle lâche, veule, vulgaire que cet homme si élégant n’a jamais pu accepter. Pour mieux se prémunir contre cette mort revancharde, Robert Badinter avait accumulé dans la grande pièce de son bureau qui donne sur le jardin du Luxembourg une multitude de pièces rares rappelant cet affrontement. Un ordre d’exécution du Comité du salut public signé de la main de Robespierre côtoyait une copie du testament de Louis XVI ou l’acte d’accusation de Saint-Just en 1794 contre Fabre d’Eglantine, Danton, Camille Desmoulins… Comme des amulettes pour mieux s’approprier cette mort si sale, et ne plus la laisser décider du destin des hommes.

La raison et l’humanité

Robert Badinter s’est éteint à 95 ans, dans la nuit de jeudi à ce vendredi. Il était né le 30 mars 1928. Mais ses mots prononcés un 17 septembre 1981 à la tribune de l’Assemblée Nationale résonneront encore longtemps : « cette justice d’élimination, cette justice d’angoisse et de mort, décidée avec sa marge de hasard, nous la refusons. Nous la refusons parce qu’elle est pour nous l’antijustice, parce qu’elle est la passion et la peur triomphant de la raison et de l’humanité ». Le 9 octobre 1981, la France abolissait la peine de mort.

Elle restera l’acte vibrant et structurant de toute sa vie. Parce qu’il n’avait jamais pu oublier ce matin froid et inhumain de novembre 1972 où, dans la cour de la prison de la Santé à Paris, on y exécutait Claude Buffet et Roger Bontems, responsables d’une prise d’otage meurtrière en septembre 1971 à la Centrale de Clairvaux. Il était l’avocat de Roger Botems. Il en fera le récit dans un livre fort et bouleversant, « l’Exécution », en 1973 puis viendra « l’Abolition » en 2000. La boucle était bouclée.

 Rien, je dis bien rien, ne se compare à ce que j’ai connu dans une cour d’assises de province, avec tous ces gens hurlant de haine, hurlant à mort. Il n’y avait qu’une seule porte ouverte dans le palais 

Au « Monde », qui l’interrogeait en 2016, sur les six condamnés à mort qu’il avait sauvé avant 1981, il avait prédit : « Ce seront mes témoins lorsque je comparaîtrai devant le Seigneur. Je suis un modeste pécheur, comme tout le monde, mais, moi, j’ai des témoins à décharge, certes pour la plupart des assassins. Et rien, je dis bien rien, ne se compare à ce que j’ai connu dans une cour d’assises de province, avec tous ces gens hurlant de haine, hurlant à mort. Il n’y avait qu’une seule porte ouverte dans le palais. Il fallait traverser la foule, et je vous assure qu’ils me regardaient sans tendresse. »

Avocat pendant trente ans

Avant d’être ministre, garde des Sceaux de François Mitterrand, Robert Badinter était d’abord et avant tout un avocat. Un grand avocat « à la française », qui savait allier dossiers civils et défense pénale. Une marque de fabrique qui lui fera défendre L’Express, L’Observateur ou Paris Match… et lui permettra de se constituer un solide réseau médiatique. A l’époque, le jeune avocat aux dents longues est spécialiste de droit international et représente Charlie Chaplin, Brigitte Bardot ou Roberto Rossellini, qu’il a côtoyés dans le sillage de sa première femme, l’actrice Anne Vernon. En 1966, il crée son propre cabinet avec Jean-Denis Bredin, un autre as du barreau. Rejoint trois ans plus tard par Jean-François Prat, le cabinet Bredin-Prat deviendra un des premiers cabinets d’avocats d’affaires de la place et continue encore aujourd’hui à représenter l’excellence.

 On a aboli la peine de mort, on a supprimé la Cour de sûreté de l’Etat, les tribunaux miliaires, la loi anticasseurs, dépénalisé l’homosexualité 

Lorsqu’il devient ministre de la Justice en 1981 à l’âge de 52 ans, il était professeur de droit et avocat depuis trente ans. « J’étais convaincu que je ne disposais que de cent jours. On a aboli la peine de mort, on a supprimé la Cour de sûreté de l’Etat, les tribunaux miliaires, la loi anticasseurs, dépénalisé l’homosexualité… », a-t-il souvent raconté. Tout cela coïncidant avec une loi d’amnistie généreuse, le fera haïr de l’opposition qui lui donne du « Me Badinter », comme s’il n’était qu’un avocat de « criminel ». On l’a oublié mais, en 1981, une véritable hystérie se déchaîne contre lui : « dans certains commissariats, on disait aux gens : « on ne reçoit pas votre plainte, car le garde des Sceaux n’en veut pas ». Chaque fois que je sortais en famille au restaurant, j’étais pris à partie », racontera-t-il.

Le droit, sa passion

Président du Conseil constitutionnel de 1986 à 1995, ce « monomaniaque » du droit reviendra toujours à sa passion. Après avoir été élu et réélu sénateur des Hauts-de-Seine à partir de 1995, il créera en 2012, à 83 ans, Corpus Consultants, un cabinet de consultation juridique de haut niveau qui regroupe des professeurs de droit et s’adresse uniquement aux professionnels par la seule voie numérique. 

« J’avais décidé, après deux mandats, de ne pas me représenter aux élections sénatoriales. Je n’envisageais pas de revenir au barreau. Des audiences, j’ai connu le meilleur et le pire, surtout le meilleur (sourire). Mais je suis convaincu que les grandes batailles judiciaires requièrent l’énergie vitale de la force de l’âge. Quant à intégrer un grand cabinet d’affaires, à quoi aurais-je servi sinon à apporter un carnet d’adresses… j’ai donc décidé de revenir à une passion constante dans ma vie : le droit », a-t-il raconté aux Echos.

Il y avait de l’espoir dans le regard de Robert Badinter. De l’espoir pour les hommes même s’il était « sans illusion sur l’espèce humaine », ce qui dans l’esprit de cet amoureux de la justice n’est pas si contradictoire. Pour le comprendre, il fallait le rencontrer dans son grand bureau, « sa » pièce dans le grand appartement qu’il occupait rue Guynemer à Paris avec sa femme Elisabeth Badinter qu’il a épousé en 1966 . Il nous montrait alors, avec l’oeil gourmand du collectionneur, ces trésors chinés chez les libraires et antiquaires de province. De la fierté aussi quand on admirait la beauté de son bureau aux pieds élancés et noueux : « c’est Giacometti qui l’a dessiné pour moi », nous avait-il alors assuré. 

Les deux cuillères

Deux petites cuillères de métal trônaient aussi, incongrues parmi le fatras d’oeuvres d’art et de livres qui envahissaient tous les meubles. Lui demander pourquoi il gardait ces banals objets de métal blanc, c’était embarquer avec lui dans l’histoire de sa famille et des combats de sa vie. L’une venait du camp d’Auschwitz II-Birkenau. Son père, Simon Badinter, fourreur juif originaire de Bessarabie, fut arrêté à Lyon en 1943, il est mort quelque temps après à Sobibor. 

 Pour manger une soupe, vous ne pouvez que la laper, comme un chien. Alors que si vous avez une cuillère, vous pouvez porter la soupe à votre bouche. Vous êtes encore un homme 

L’autre cuillère lui avait été donnée par le conservateur du camp de Rivesaltes, le camp créé en 1938 dans les Pyrénées-Orientales pour l’internement administratif des « indésirables étrangers ». Il aimait raconter cette histoire aux journalistes qui lui rendait visite : « Le conservateur de Rivesaltes m’a expliqué ce à quoi je n’avais jamais songé. Il m’a dit, vous savez, la cuillère, c’est l’homme. C’est la cuillère qui laisse dans un camp un restant d’humanité à un homme. Pour manger une soupe, vous ne pouvez que la laper, comme un chien. Alors que si vous avez une cuillère, vous pouvez porter la soupe à votre bouche. Vous êtes encore un homme ».

Ecrivain compulsif

Cet écrivain compulsif _ plus d’une quinzaine d’ouvrages juridiques _ se piquera aussi d’opéra jusqu’à écrire le livret de « Claude », d’après la nouvelle « Claude Gueux » de Victor Hugo. Un opéra de Thierry Escaich, créé à Lyon le 27 mars 2013 dans une mise en scène d’Olivier Py… qui ne restera pas, lui, à la postérité.

 C’est comme un ordinateur dont les onglets se ferment les uns après les autres puis, un jour, tous à la fois : c’est terminé 

Cavalier, skieur et pianiste, il ne se départira jamais de son allure de dandy anglais que seuls les sourcils broussailleux venaient chahuter. En 2015, il reconnaissait à Paris Match avec un certain humour teinté de cynisme : Maintenant, il ne me reste que le vélo et la marche. C’est comme un ordinateur dont les onglets se ferment les uns après les autres puis, un jour, tous à la fois : c’est terminé ».

Sur un de ses livres qu’il m’avait envoyés, il avait écrit cette dédicace de son écriture sèche et volontaire, citant Nicolas de Chamfort : « Seuls les passionnés ont vécu. Les raisonnables ont duré ».

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