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Runa Ray, l’écologiste de la mode

Écrit par le 11 avril 2024


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« Mon avion avait du retard, je suis arrivée à 2 heures du matin. » Mais au Yacht Club de Monaco , la fatigue de Runa Ray ne transparaît pas. Depuis plusieurs heures, la jeune femme s’affaire à exposer ses dernières créations face à la mer. Avec leurs formes et leurs couleurs hors du commun, celles-ci semblent tout droit sorties d’un conte de fées.

L’une d’elles est entièrement façonnée dans du liège, l’un des matériaux les plus utilisés dans l’industrie du transport maritime. « Cette robe représente la traduction graphique des sons d’un récif corallien en bonne santé », indique la créatrice. Parce qu’elle éloigne les poissons, la pollution sonore entraîne de plus en plus la mort des coraux. Avec sa création, Runa Ray tenait à donner une représentation visuelle du travail des scientifiques afin de toucher un public plus large. « Il s’agit d’utiliser la mode comme un outil d’activisme », affirme-t-elle.

Protéger l’océan

Et cette création est loin de faire exception. L’ensemble de l’oeuvre de la créatrice semble motivé par l’urgence de protéger les zones marines. « Mon signe astrologique, c’est le poisson. Je crois que j’ai toujours aimé les océans. » Runa Ray s’anime. A ses doigts et ses poignets, ses bijoux s’entrechoquent. A son nez, un piercing en forme de fleur, comme une éclosion de poésie. « Petite, ma mère m’emmenait sur la plage. Elle prenait toujours un coquillage et me disait de le mettre contre mon oreille pour écouter l’océan. Mon attirance date sans doute de ce souvenir. »

Chaque matin, à Bombay, la jeune Runa Ray regarde les bateaux entrer dans le port par sa fenêtre. A l’époque, celle-ci se rêve médecin et n’entretient que peu de liens avec le monde de la mode. « Je n’ai jamais été une grande acheteuse, concède-t-elle. Généralement, ma mère m’offre de nouveaux vêtements quand elle n’en peut plus de me voir porter la même chose ! » Petit à petit, l’envie de se tourner vers la création l’attire vers l’industrie de la mode. Après une formation au National Institute of Fashion Technology de Delhi, elle valide son master à l’Ecole supérieure des industries du vêtement (Esiv) de Paris et lance sa marque en 2011, Mojo Design Studios, basée en Inde.

Port de Bombay

Port de BombayiStock

« Mes collaborations avec des multinationales m’ont permis de constater qu’il y avait beaucoup de gaspillage au sein de l’industrie, raconte-t-elle. Nous avons tendance à parler des déchets des consommateurs, mais on ne parle pas de ce qu’adviennent les prototypes des marques ! » La jeune femme commence son activité en travaillant avec des tissus rejetés, avant de se tourner vers des conceptions de plus en plus engagées. « Les océans sont rapidement devenus mon cheval de bataille », affirme celle qui préfère travailler de ses mains plutôt que de fouler les tapis rouges. « Mon travail consiste à fabriquer les pièces de ceux qui y défilent afin de susciter un intérêt général et de permettre à la population de comprendre la santé des océans. »

Des techniques innovantes

Portée par cette ambition de créer une mode plus éthique, Runa Ray s’est imprégnée de la règle des trois R : « réduire, réutiliser, recycler ». Elle s’est spécialisée dans la confection de pièces de haute couture à base de déchets ou de matériaux issus de la nature. L’une de ses robes est par exemple réalisée avec des cyanobactéries , premiers producteurs d’oxygène de la planète. « Cette espèce invasive affecte la plupart des côtes, non seulement en Asie mais aussi aux Etats-Unis », explique-t-elle. Lorsque l’azote pénètre dans l’océan, il stimule la croissance de ces bactéries qui finissent par étouffer toute la vie marine sur leur passage. Crustacés, crabes et oiseaux suffoquent. « Il faudra du temps pour changer les pesticides et passer à une agriculture entièrement biologique, reconnaît Runa Ray. Mon idée était alors d’utiliser cette espèce afin de la rendre utile. » Emballage, cuir, vêtements, papier de semence plantable…, toutes les occasions sont bonnes pour repenser la place de ces micro-organismes.

Alors que l’industrie de la mode génère plus de 20 % des eaux usées de la planète, en raison notamment de la teinture des textiles, la créatrice utilise d’anciennes techniques indigènes afin d’éviter le gaspillage et la pollution de l’eau. En collaboration avec des cultivatrices d’algues du sud de l’Inde, elle revisite le savoir-faire des encres flottantes, qui remonte à la cour royale du Japon au XIIe siècle. « Les femmes plongent dans l’océan Indien pour pêcher du ‘kadal pasi’, des algues qui sont séchées puis transformées en agar agar ou en carraghénane, explique Runa Ray. Cela leur assure un revenu alternatif pour leur famille. » L’agent épaississant ainsi obtenu est alors associé à des pigments naturels et placé dans une solution d’eau. Les pigments sont ensuite manipulés afin de créer des motifs à la surface du liquide. Le tissu est enfin placé sur la surface pour que les pigments s’y transfèrent. Les motifs organiques obtenus sur les tissus rappellent les mouvements de l’océan. Une fois l’encre retirée, les particuliers peuvent réutiliser l’eau pour arroser leurs plantes.

Avec cette méthode, la créatrice évite aussi l’utilisation d’encres chimiques nocives. « Aujourd’hui, nous nous sommes habitués à produire des vêtements en série, observe Runa Ray. Ces techniques demandent trop de temps et de main-d’oeuvre pour ce type de production. Pourtant, elles permettraient une réelle avancée à l’industrie de la mode, en employant plus de personnes à travers le monde et en limitant notre impact environnemental. »

Un outil de sensibilisation

Usage raisonné de l’eau, économie circulaire en approvisionnement en algues, encres naturelles à base de plantes et de minéraux… En plus de ces méthodes de conception, Runa Ray a voulu faire de la mode un moyen d’action pour éduquer et plaider en faveur d’un changement de politique environnementale. Et pour ce faire, la créatrice travaille main dans la main avec la communauté scientifique. « Les experts m’aident à comprendre ce qu’il va se passer à l’avenir, que ce soit pour la culture du coton, la situation des coraux, mais aussi la manière dont la crise environnementale va affecter les populations indigènes. »

Depuis quelques années, Runa Ray multiplie ses engagements aux quatre coins du monde. Consultante pour l’Union internationale pour la conservation de la nature, elle offre son expertise à de nombreuses associations comme le Council of Fashion Designers of America ou auprès des Nations unies. Elle est également à l’initiative de l’association Ocean Flag, qui vise à éduquer sur la pollution environnementale causée par la mode. « Je me rends principalement sur les îles, ou dans les régions qui dépendent directement des océans, explique la créatrice. Ensemble, nous trouvons des moyens de travailler de manière responsable envers les aires marines. »

Plus récemment, elle a fondé l’organisation Fashioning for Social Environmental Justice, titre qu’elle a donné à une publication parue fin 2023. Dans cet ouvrage, elle revient autant sur le racisme environnemental que sur la manière dont les femmes sont affectées par la mode et les alternatives à mettre en place. Elle y explique aussi comment l’industrie du vêtement peut collaborer avec les agriculteurs à travers la production de fibres, l’installation d’usines de recyclage d’eau ou encore la rotation des cultures.

Défilé Monaco collection océan. Fashion Week 2023

Défilé Monaco collection océan. Fashion Week 2023DR

Aux yeux de Runa Ray, la mode peut être un moyen non négligeable de sensibiliser à l’écologie. « Il existe un vrai lien entre la science et notre garde-robe », affirme-t-elle. Alors que la France est en voie d’adopter une loi visant à freiner la « fast fashion », la créatrice appelle les gouvernements à davantage réguler le secteur, « non seulement au niveau du consommateur, mais dès la source de l’industrie de l’habillement ».

Celle qui affirme qu’il est encore difficile de faire comprendre aux adultes l’importance des engagements a finalement trouvé sa voie dans la transmission de ses savoirs. « Ce que j’aime, c’est expliquer tout cela aux plus jeunes afin de leur donner du pouvoir », confesse-t-elle.

La créatrice s’apprête à se rendre dans des zones de conflit, afin de travailler avec des communautés confrontées aux conséquences de la guerre et de la crise environnementale. « La paix est étroitement liée à l’action climatique, assure-t-elle. Il ne sert à rien de parler de justice environnementale s’il n’y a pas de justice sociale. Il devient urgent de nous unir et de réaliser que nous ne faisons qu’un afin de relever tous les défis qui nous attendent. »

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