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Kaja Kallas , la voix anti-Poutine des pays baltes

Écrit par le 25 janvier 2024


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Tous les soirs depuis deux ans, à Tallinn, les couleurs du drapeau ukrainien sont projetées sur la façade de Stenbock House, tout en haut de la colline de Toompea. En signe de soutien « inébranlable » à Kiev. Ironiquement, l’imposante bâtisse néoclassique héritée de la Russie impériale, siège du gouvernement estonien depuis 2000, est devenue l’ultime symbole de la solidarité européenne. On y accède par la Jambe courte, l’une des portes médiévales de la ville haute. C’est là que Kaja Kallas, première femme à diriger le gouvernement estonien depuis 2021, a encore reçu le président ukrainien Zelensky à la mi-janvier.

Fille et petite-fille de déportés en Sibérie, celle que l’on surnomme la « Dame de fer » des pays Baltes n’a jamais ménagé son soutien au champion de la résistance ukrainienne. Aujourd’hui, faute de pouvoir briguer, de manière réaliste, le secrétariat général de l’Otan face au « renard » néerlandais Mark Rutte, cette avocate de formation entend peser de tout son poids dans la recomposition de la gouvernance européenne, au lendemain des élections de juin.

Le combat contre l’agresseur russe est aussi important que celui contre le terrorisme au Moyen-Orient. Pactiser avec un dictateur serait une grave erreur.

Kaja Kallas Première ministre d’Estonie

« Le combat contre l’agresseur russe est aussi important que celui contre le terrorisme au Moyen-Orient. Pactiser avec un dictateur serait une erreur », confie Kaja Kallas, sous les portraits de ses prédécesseurs, dans le grand salon de Stenbock House. Comme la Callas (la cantatrice), elle a la voix qui porte. Mais son registre est de nature différente. C’est elle qui a lancé l’idée d’émettre des « eurobonds » pour renforcer l’industrie de défense et l’aide à l’Ukraine, reprise au bond/au débotté par Emmanuel Macron à Davos, le 18 janvier, en lui en reconnaissant la « maternité ».

Trois femmes de sa famille, dont sa mère, à l’âge de 6 mois, ont été déportées en 1949, victimes des grandes purges staliniennes. De quoi forger le caractère, bien trempé, de cette arrière-petite-fille d’Eduard Alver, l’un des fondateurs de la république estonienne. Derrière sa silhouette d’elfe nordique, elle a l’art des formules choc. Du genre : « Le gaz coûte cher, mais la liberté n’a pas de prix .»

En 1839, déjà, le marquis de Custine

Passionnée d’histoire, elle a lu l’été dernier les Lettres de Russie, du marquis de Custine, l’écrivain-voyageur parmi les premiers à fustiger la Russie impériale en 1839. « Tout y était déjà : c’est la même chose aujourd’hui !» s’exclame celle qui milite pour un renforcement des sanctions contre la Russie et l’utilisation des avoirs russes dans toute l’Europe pour financer la reconstruction en Ukraine. Vingt ans après l’adhésion de l’Estonie à l’Union européenne et à l’Otan, Kaja Kallas croit dur comme fer aux vertus de l’élargissement. « Nous en sommes l’exemple vivant », martèle-t-elle, tout en appelant de ses voeux un net relèvement du seuil minimum d’investissement de 2% du PIB dans la défense commune . Quitte à prendre à rebrousse-poil certains « pays frugaux », tels les Pays-Bas ou le Danemark, encore loin de respecter la règle des 2%.

Kaja Kallas, la Première ministre estonienne, est le plus grand soutien politique à l'Ukraine au sein de l'Union européenne.

Kaja Kallas, la Première ministre estonienne, est le plus grand soutien politique à l’Ukraine au sein de l’Union européenne.©Birgit Püve pour Les Echos Week-End

« Kaja Kallas est très visible et charismatique, mais elle n’est pas toujours très diplomate. Elle a le don de mettre les pieds dans le plat et cela peut agacer les autres membres de l’Otan» , observe Olivier Schmitt, professeur de science politique au Centre sur les études de guerre, au Danemark. Dernière « boutade » en date : Kaja Kallas a publiquement ironisé sur le fait que le Premier ministre néerlandais, Mark Rutte, puisse briguer le secrétariat général de l’Otan , alors que son pays investit moins de 2% du PIB dans le secteur de la défense… « Si vous ne joignez pas la parole aux actes, cela ne joue pas en votre faveur. Nous avons appris de l’histoire que la faiblesse provoque les agresseurs », insiste cette grande admiratrice de l’historien britannique, Orlando Figes, l’auteur des Chuchoteurs, spécialiste de la terreur stalinienne.

Mais réalisme oblige : après avoir laissé flotter l’idée de son éventuelle candidature à la tête de l’Organisation en novembre 2023, Kaja Kallas a dû reculer face à la candidature néerlandaise. Elle juge désormais « hautement improbable» l’hypothèse que ce poste lui soit proposé en juillet 2024, à l’échéance du mandat du norvégien Jens Stoltenberg.

En revanche, elle entend peser de tout son poids dans la stratégie de consolidation de la défense européenne et la redistribution des postes clefs à la tête des institutions européennes.« Nous sommes membres à part entière de l’Union européenne et de l’Otan depuis vingt ans. Mais pour les postes clefs, c’est toujours un petit nombre de pays qui sont pris en compte », ne cache pas la Première ministre estonienne – courtoise, mais ferme -, avec un zeste d’agacement. « Sur la base du mérite, nous voulons jouer pleinement notre rôle.»

Mario Draghi bluffé

Le ton est donné. À quelques mois près, Kaja Kallas a le même âge qu’Emmanuel Macron et l’italienne Giorgia Meloni. Et la même ardeur décomplexée, typique de sa génération. Un épisode, crucial, relaté par Sylvie Kauffmann, dans Les Aveuglés (1), a contribué à forger son image. Et lui a valu, accessoirement, l’admiration de l’ex-patron de la BCE, Mario Draghi. Cela se passe au sommet européen de Bruxelles du 24 juin 2021, en pleine pandémie, bien avant l’invasion de l’Ukraine.

À la veille du sommet, Merkel et Macron ont prévu d’« introduire en douce » un sommet UE-Russie, à la surprise générale. À tout juste 44 ans, Kaja Kallas sort de ses gonds. « Un sommet pour quoi faire ? On a toujours dit qu’on n’aurait pas de sommet avec Poutine, tant qu’il n’aurait pas rendu la Crimée », s’emporte-t-elle en démolissant en règle la proposition franco-allemande. Bluffé, Mario Draghi lui donne raison en lui glissant : « Vous avez dû être une sacrée avocate. » Même Merkel devra s’excuser… De ce jour est née la légende de la jeune cheffe de gouvernement d’un pays de un million et demi d’habitants qui a fait « mordre la poussière » à la chancelière. Non sans fondement.

On a toujours dit qu’on n’aurait pas de sommet avec Poutine, tant qu’il n’aurait pas rendu la Crimée.

Kaja Kallas Première ministre d’Estonie

Championne hors pair du soutien politique à l’Ukraine au sein de l’Union européenne, Kaja Kallas a fait de l’indépendance énergétique un des axes majeurs de son gouvernement de coalition. Jusqu’ici, elle a largement marché sur les traces de son père, Siim Kallas, grande figure de la politique estonienne.

Ancien membre du soviet suprême sous l’ère soviétique, ce « père de la couronne estonienne » a été Premier ministre de 2002 à 2003, avant de devenir Commissaire européen aux Transports, à Bruxelles. En 2010, sa fille rejoint le parti de la Réforme (centre droit), qu’il a fondé il y a trente ans. Après avoir été la plus jeune eurodéputée au Parlement européen, où elle a beaucoup oeuvré pour le marché unique des services numérique – fer de lance de l’économie estonienne -, elle devient, à 43 ans, la première femme à diriger l’Estonie en janvier 2021.

« À la différence des Lituaniens qui sont collés à la Pologne, les Estoniens ont une réflexion stratégique propre et savent qu’ils ne peuvent pas se fâcher avec les trois grands pays qui ont une présence militaire en Estonie (Etats-Unis, Royaume-Uni, France) », explique un diplomate à Tallinn. C’est pourquoi Kaja Kallas a clairement pris la tête du front anti-Poutine , même si l’Estonie compte encore une minorité russophone représentant 25% de la population. Ne jamais oublier le traumatisme du pacte Molotov-Ribbentrop de 1939, et la déportation massive des quelque 20.000 Estoniens vers la Sibérie dix ans plus tard. En cas de défaite de l’Ukraine, elle est persuadée que Moscou n’hésitera pas à envahir les Etats baltes pour tester la cohésion de l’Otan et de l’alliance Atlantique.

Le mystère Balticonnector

Aujourd’hui encore, Tallinn n’est pas à l’abri des « actions hybrides » ou cyberattaques éventuelles pilotées à partir de l’Oblast de Kaliningrad, l’enclave russe coincée au sud de la Lituanie. Dernier épisode en date : la rupture du gazoduc Balticconnector et d’un câble de télécoms sous-marin entre Helsinki et Tallinn, en octobre dernier. Un scénario qui n’est pas sans rappeler le mystérieux sabotage des gazoducs Nord Stream, sous la Baltique, en septembre 2022. Le seul canal de gaz naturel entre la Finlande et l’Estonie est coupé. Officiellement, c’est un cargo chinois qui aurait endommagé le gazoduc en traînant son ancre sur 120 km… « L’enquête suit son cours. Nous pensons que c’est une erreur humaine et il semble que cela ne soit pas intentionnel », avance prudemment Kaja Kallas.

En revanche, elle ne cache pas ses critiques sur la naïveté de certains pays européens face au « piège Nord Stream » tendu par Poutine . « Nous avons toujours dit que Moscou allait utiliser ce projet pour construire une dépendance géopolitique de l’Europe vis-à-vis de la Russie, à travers Nord Stream. Hélas, certains chefs de gouvernement dont Mark Rutte ont pensé pouvoir obtenir du gaz à bas prix à travers cette opération. » Encore une pique à l’adresse du « Mister Teflon » néerlandais donné pour favori à la tête de l’Otan, à l’été prochain. En revanche, cette réformatrice libérale ne cache pas son entente cordiale avec Emmanuel Macron depuis le discours du président français, à Brastislava, en mai 2023. C’est là qu’il a annoncé un soutien franc et massif à l’Ukraine, en reconnaissant que l’Europe n’a pas assez écouté les pays ayant subi l’occupation soviétique. Un acte de contrition qui sonne d’or aux oreilles de la fille des victimes du Goulag.

Succéder à Josep Borrell aux Affaires étrangères

Sur son avenir politique, la « Dame de fer » des pays baltes laisse encore planer le doute. Après avoir fait la navette entre Bruxelles et Tallinn pendant plusieurs années, son père, Siim Kallas, lui a clairement conseillé de ne pas lâcher la proie pour l’ombre et de rester à la tête du gouvernement pour quatre ans. Mais certains observateurs la voient déjà succéder à l’espagnol Josep Borrell comme haut représentant de l’Union européenne pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité, voire à Thierry Breton au poste de commissaire au Marché intérieur et aux Services numériques. « Pour le moment, je suis bien à ma place, même si en politique, tout peut changer d’un jour à l’autre », laisse entendre Kaja Kallas.

Seule ombre au tableau : la récente « gaffe » de son mari banquier, Arvo Hallik, investisseur minoritaire dans une société de transports estonienne, Stark Logistics, qui a continué à livrer des conteneurs en Russie, malgré les sanctions. Révélée par la télévision estonienne ERR, l’affaire a plongé le gouvernement dans la tourmente en août 2023. « Mon mari avait une participation minoritaire dans une entreprise qui a aidé une société estonienne, minimise-t-elle aujourd’hui. Il aurait dû comprendre que cela pouvait être utilisé contre moi, mais il n’est pas un politique. Il a revendu la participation dès le lendemain. »Son image d’intransigeance a été écornée, mais la page est tournée.

La Russie voit dans l’Europe une proie qui lui sera livrée tôt ou tard par nos dissension.

Astolphe de Custine

Son pronostic sur la guerre d’usure entre Moscou et Kiev ? « La Russie a déjà perdu, car ils n’ont pas atteint leurs objectifs. L’armée russe est mécontente. Mais tout dépendra encore de la vigueur de notre soutien militaire et financier à l’Ukraine qui se bat pour l’Europe », martèle Kaja Kallas. Baisser les bras n’est pas une option pour la « Dame de fer » de la Baltique.

« La Russie voit dans l’Europe une proie qui lui sera livrée tôt ou tard par nos dissensions », écrivait déjà le visionnaire Astolphe de Custine dans ses fameuses Lettres de Russie, publiées en 1843. La tigresse estonienne fera tout pour s’inscrire en faux.

(1) « Les Aveuglés. Comment Berlin et Paris ont laissé la voie libre à la Russie », Sylvie Kauffmann, Stock, 2023.

L’Estonie, numéro un du classement PISA en Europe

Le plus petit des pays baltes (légèrement plus grand que la Suisse) n’est pas seulement le champion des start-up, avec ses dix licornes pour 1,3 million d’habitants en 2023. Elle est aussi, depuis plusieurs années, au premier rang européen du classement Pisa des systèmes éducatifs piloté par l’OCDE et au quatrième rang mondial (derrière Singapour, le Japon et la Corée du Sud) en 2022, selon le dernier rapport publié en décembre. Le secret de cette percée ? Sous la houlette du ministre de l’Education, Kristina Kallas (sans lien de parenté), l’Estonie maintient un effort soutenu dans un système éducatif décentralisé, largement tourné vers les enseignements numériques, mais milite également pour une forte implication des enseignants qui ont des objectifs de résultats, avec une forte utilisation des outils numériques et de l’intelligence artificielle. C’est aussi le pays de l’OCDE où le milieu socio-économique a le moins d’impact sur les performances des élèves. L’Estonie et la Finlande sont les deux pays européens où les taux de scolarisation dans le système privé sont les plus bas : entre 3 et 4% (contre 17% en France).

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