En ce moment

Titre

Artiste

[qt-onairmini]

[qt-onairmini]


Marco Polo, Claude Lévi-Strauss, Sylvain Tesson… ces explorateurs qui nous font rêver par la littérature

Écrit par le 11 avril 2024


[ad_1]

On commémore cette année les sept cents ans de la mort de Marc Polo. Prononcer son nom suffit à nous embarquer vers des terres inconnues. Les récits de ce Vénitien né en 1274 au sein d’une famille de marchands ont été depuis le XIIIe siècle, le sésame pour des millions de lecteurs vers des contrées encore inexplorées. Avec le Devisement du monde, paru en 1298, dicté dans sa cellule à Gênes à son compagnon d’infortune Rustichello de Pise, Marco Polo a permis à ses lecteurs d’alors de parcourir les hauts plateaux d’Anatolie, de traverser l’Iran, le Haut Afghanistan, le massif de Pamir et le Turkestan chinois et de cheminer jusqu’au royaume de Cathay, à savoir la Chine. Et surtout de s’infiltrer au sein de la cour du grand Kahn, l’empereur mongol qui lui confia pendant dix-sept ans moult missions en Chine et dans les environs.

Intrépide émissaire, un peu espion, Marco Polo dispense à ses lecteurs au fil de ses missions des rapports sur la géographie, la stratégie militaire, l’agriculture, la religion, les moeurs, l’alimentation ou les fêtes dans l’empire du Milieu. Et au passage, égrène quelques chinoiseries comme la joyeuse hospitalité des autochtones de Xichang qui offrent gîte et épouse au visiteur, ou sa rencontre fantasmée avec des licornes et des griffons dans les îles de Java ou de Mogadiscio…

Les enfants de Marco Polo

Ainsi, Marco Polo a-t-il offert une connaissance de première main du monde asiatique à un Occident qui en ignorait absolument tout et donné naissance à d’une longue lignée de suiveurs. Christophe Colomb consigna le journal de bord de sa découverte du Nouveau Continent, mais en se référant à une copie annotée duDevisement, il crut, lorsqu’il arriva dans la mer des Caraïbes, qu’il avait atteint les îles au large de l’Inde et nomma les indigènes locaux « Indiens ». Le Florentin Amerigo Vespucci, ami du précédent, a laissé un témoignage vivant et très documenté sur les côtes orientales de l’Amérique – nommée d’après son prénom.

Vasco de Gama livra à ses lecteurs son périple vers les Indes, en étant le premier Européen à franchir le cap de Bonne-Espérance. Alvar Nuñez Cabeza de Vaca raconta son naufrage et des pans entiers de l’Amérique jusqu’alors inconnus. George Psalmanazar éblouit l’Europe entière de ses best-seller et conférences  par la description éblouissante de Formose, dont il se prétendait faussement être originaire. Louis-Antoine de Bougainville fit miroiter dans les yeux des lecteurs les ailleurs exotiques et chamarrés de la Terre de Feu ou de Tahiti, grâce à la relation de son voyage autour du monde…

Mettre le globe à la portée de tous

Plus près de nous, Jean Malaurie, directeur et fondateur de la collection littéraire Terre Humaine a fait voyager ses lecteurs sur les toits du monde avec Les derniers rois de Thulé, leur ouvrant les portes du Grand Nord et les richesses insoupçonnées de la civilisation inuite. Claude Lévi-Strauss, ethnologue, leur dévoile les Tristes tropiques du Brésil, de l’Inde ou dau Moyen-Orient. Enfin, Margaret Mead leur révèle par l’oeilleton la sexualité de jeunes adolescentes en fleurs des îles Samoa…

Plus qu’à de simples écrivains voyageurs – si étonnants puissent-ils être – dont la littérature regorge, Marco Polo a ouvert la voie à une généalogie particulière : celle des arpenteurs de terra incognita, des bourlingueurs des confins, des cartographes de l’inexploré. La mission qu’ils ont tous acceptée : ouvrir en grand de nouveaux espaces, élargir les horizons de la connaissance du monde et mettre l’immensité du globe à la portée de tous pour nourrir toujours plus le concept d’humanité.

Explorations géographiques et littéraires

Grâce leur soit rendue. Mais quel intérêt peut bien revêtir, pour nous habitants du XXIe siècle, la lecture de tous ces rapports d’étonnement ? Toutes ces terres inconnues ne nous sont-elles pas désormais connues et archiconnues ? Tout cela n’est-il pas un brin naïf et pour tout dire obsolète alors que la planète est quadrillée par les vols low-cost ? Or, ces écrivains explorateurs sont avant tout des écrivains qui nous offrent de purs joyaux d’alchimie littéraire. Leurs explorations géographiques se doublent toujours d’explorations littéraires. Face au défi qui consiste à dire l’inédit, à fabuler l’ineffable, à transmettre l’ivresse de l’inconnu leur verbe se fait lui-même aventureux et découvreur.

Car, de fait, flirter avec les confins du monde, tutoyer l’inouï les pousse sans cesse à réinventer les frontières entre fiction et réalité. En dépit de tout le soin – et même le sérieux scientifique parfois – qu’ils y mettent, jamais ils ne se résolvent à être des géomètres tatillons ou des disciplinés du cadastre. Chez tous ces écrivains explorateurs, la réalité se joue du merveilleux, comme le merveilleux enfante la réalité. Parfois jusqu’à l’imposture totale comme chez Psalmanazar. S’embarquer dans le Devisement du monde, avec Marco Polo, c’est plonger dans le délicieux flouté d’un rêve éveillé, dans lequel les comptes rendus les plus précis, les annotations géographiques ou les analyses militaires et géopolitiques pointues voisinent avec les mythes et légendes de l’Arbre-sec, du Prêtre-Jean, de Gog et Magog, des animaux imaginaires…

Emerveillements et vertiges

Au point que certains ont pu soutenir que Marco Polo n’aurait en réalité jamais dépassé Constantinople où sa famille détenait un comptoir, lieu de transit de nombreux voyageurs susceptibles d’alimenter sa rêverie par leurs récits. D’autres, plus intransigeants encore, comme Pierre Bayard dans Comment parler des lieux où l’on n’a pas été ? émettent même l’hypothèse qu’il n’aurait peut-être jamais quitté Venise ! Hommes de peu de foi ! Marco Polo lui-même n’entretient-il pas une précieuse ambiguïté en désignant son ouvrage avec le sous-titre de Livre des merveilles ? Peu importe la réalité, pourvu qu’on ait l’émerveillement.

Pas étonnant que Claude Lévi-Strauss se désolidarise de ces pourvoyeurs d’eldorados dès l’entame de Tristes Tropiques avec son fameux incipit : « Je hais les voyages et les explorateurs. » L’ethnologue fustige la pose de ces matamores bourlingueurs qui faisaient alors salle comble à Pleyel, dignes prédécesseurs des Instagrameurs d’aujourd’hui, attirant le Tout-Paris avec leurs mises en scène de voyages avantageuses et narcissiques. Mais, ironie de la situation, Claude Lévi-Strauss s’apprête lui-même à raconter ses expéditions. Et bien qu’il le fasse dans cette langue qui pose les bases du structuralisme anthropologique, leur récit distille également des émerveillements et des vertiges. Avec une charge poétique, écrira Georges Bataille, « qui nous arrache à la pauvreté de nos rues et de nos immeubles ».

Qu’est-ce que ça peut te faire puisque je l’ai [le transsibérien] fait prendre à tous !

Blaise Cendrars

Car la littérature d’exploration peut-elle être comptable du réel ? À caboter vers l’inconnu ne prend-elle pas le risque constant d’être aux « frontières du réel » ? C’est Blaise Cendrars, écrivain voyageur suisse, auteur de Bourlinguer et de L’Or, qui apporte sans doute la meilleure réponse. Son long poème La Prose du transsibérien racontant son voyage à bord du fameux train, reliant Moscou à Vladivostok sur plus de 9.000 kilomètres, souleva beaucoup de scepticisme. Par quel miracle avait-il pu prendre le train alors que la Russie était traversée par le chaos prérévolutionnaire de 1904 ? À son ami, l’homme de presse Pierre Lazareff, qui doutait de la réalité de son périple, Cendrars aura alors cette cinglante réplique : « Qu’est-ce que ça peut te faire puisque je vous l’ai fait prendre à tous ! »

En effet, quelle importance ! Car quoi de plus envoûtant encore aujourd’hui que d’embarquer dans le transsibérien grâce à son poème, de partager l’arrivée de l’équipage de Bougainville sur les plages étincelantes de Tahiti, d’arpenter ébloui le blanc infini du Grand Nord avec Jean Malaurie, ou de caresser des licornes avec Marco Polo ?

Mais à la lecture de ces premières fois, un sentiment nostalgique nous étreint. Si nous pouvons les lire qui pour les écrire aujourd’hui ? Tous voyages en terres inconnues nous sont rendus désormais impossibles à l’heure du surtourisme, où le moindre mètre carré de notre planète est cartographié, piétiné dans l’attente d’un selfie, capturé sous l’oeil des satellites, de nos smartphones et de Google Earth. N’y aurait-il donc plus de d’ailleurs ? Ou alors nos rêves d’ailleurs sont-ils condamnés à quelques divagations de milliardaires vers d’autres planètes inhospitalières et froides ? Avons-nous tous fait le tour de notre monde ?

Les bouts du monde et les trous perdus

Peut-être pas, après tout, comme nous le prouve Riccardo Ciavolella avec son ouvrage Petaouchnok(s). Cet atlas imaginaire renouvelle le plaisir de l’évasion et de l’exotisme en nous embarquant vers les bouts du monde et les trous perdus au milieu de nulle part. Ciavolella nous offre une forme de métaexploration en recensant cette catégorie particulière de lieux disséminés sur le globe. De Bab-el-Oued à Tombouctou, de la Conchinchina espagnole au Canicatti italien, du Podnunk américain au Java chinois et autres diagonale du vide ou Tataouine, Pétaouchnok(s) nous entraîne, à travers 80 entrées illustrées, dans une odyssée à la recherche du sens ludique et profond de ces lieux paumés et nous propose de nouveaux ailleurs, sans avoir besoin de postuler pour une expédition sur Mars.

De même que Sylvain Tesson avec La panthère des neiges, Blanc, Bérézina ou Dans les forêts de Sibérie nous a prouvé l’existence possible d’ailleurs même dans ce monde aux horizons cadenassés. Dans Avec les fées, grand succès de la rentrée de janvier, il nous en dévoile le secret : une terre inconnue se dévoile par le regard. « C’est une qualité du réel révélée par une disposition du regard, écrit-il, une façon d’attraper le monde et d’y déceler le miracle de l’immémorial et de la perfection. Le reflet revenu du soleil sur la mer, le froissement du vent dans les feuilles d’un hêtre, le sang sur la neige et la rosée perlant sur une fourrure de mustélidé : là sont les fées. Je donne le nom de fée à ce jaillissement. » Sous nos yeux de lecteurs, les promontoires de la Galice, de la Bretagne, de la Cornouaille, du pays de Galles, de l’île de Man, de l’Irlande et de l’Ecosse émergent comme autant de trésors encore inhabités.

Peut-être que, même dans ce monde saturé par le connu, il existera encore et toujours des terres inconnues. Et sans doute est-ce la mission même de la littérature que de nous les faire les découvrir à nouveau.

[ad_2]

Source link


Les opinions du lecteur

Laisser un commentaire